LES TROIS 41 reconnaissait plus l’officier modeste et effacé -de la minute précédente. Je me rappelle avoir assisté, en juin 1914, à une remise de brevets aux élèves-officiers de l’école militaire de Dolma-Bagtché. Enver présidait. Je revois toute la scène : Une grande carte est pendue au mur. Elle est faite en deux couleurs : le rouge, représentant ce qui reste de la Turquie; le noir, indiquant ce qu’elle a perdu depuis deux siècles. Un poète turc célèbre la gloire de l’Empire et aussi ses deuils récents. Certes, son émotion n’est pas feinte, pas plus que celle de l’assistance, essentiellement ottomane, qui assiste à la cérémonie. Avant de distribuer leurs brevets aux futurs officiers, Enver, reprenant en quelques paroles le thème lu poète, adjure les nouveaux promus — ses cama-ades — de se souvenir d’un passé, hélas ! diminué, ais qu’il convient de refaire grand par la victoire ! Ensuite, avec une raideur tout allemande, les sous-ieutenants s’avancent à tour de rôle vers le ministre, recevant, avec quelle foi, leur brevet! On sent, dans leur attitude, un immense respect et une affection sans bornes pour celui qui, à leurs yeux, doit être un jour le sauveur de la Patrie! Ce culte pour Enver s’explique aisément. Il avait lonné déjà des preuves incontestables de bravoure t de capacité dans plusieurs expéditions militaires, otamment en Libye, où, à la tète de quelques régu-iers turcs et des tribus arabes, il était parvenu à Bénir tête aux corps d'armée italiens. Grièvement gjfcléssé, il avait pu cependant s’échapper, en même ■temps que son frère Nouri-bey.