LES INNOCENTS 79 portait de nombreuses contusions provenant sans nul doute de coups violents, reçus au cours de la lutte avec les assassins. Ce crime peut être imputé à la bande jeune-turque et surtout à Enver. Les relations entre lui et le prince étaient devenues particulièrement tendues depuis la fin de l’année 1915, à la suite de plusieurs incidents. En particulier Enver s’était permis de déchirer une lettre de recommandation écrite par le prince héritier, et cela en présence de la personne intéressée qui avait présenté elle-même la lettre au ministre. Mais, surtout, le germanophile Enver ne pouvait pardonner au prince impérial son aversion vis-à-vis des Allemands. Coïncidence curieuse : le fils d’Abd-ul-Aziz finissait dans les mêmes circonstances que son père, trouvé mort, un matin, les artères tranchées par un rasoir. On a dit que le prince s était suicidé dans une crise de neurasthénie? La vérité est qu’on l’a supprimé parce qu’il restait un véritable patriote, de sentiments sincèrement nationalistes, désireux de faire sortir la Turquie de l’alliance allemande et de la rallier aussitôt à la cause française. On fit au malheureux Youssouf de solennelles funérailles, son corps fut transporté en grande pompe au mausolée de la mosquée du sultan Mahmoud. H reste dans cette disparition un grand mystère à éclaircir et aussi une mort à venger, car tous ceux qui connaissent un peu la Turquie refusent de croire au suicide de Youssouf-Izzedine, l’ami de la France, auquel nous devons conserver un souvenir reconnaissant.