LES TROIS 57 * * * En avril 1914, j’ai eu l’occasion de faire une visite à Djemal-Pacha, en compagnie de plusieurs officiers français. Une vedette à vapeur vint nous prendre au pont de Karakeuï et nous conduisit au palais de Ters-Hané, qui servait de ministère de la Marine. Un lieutenant de vaisseau ottoman nous attendait au débarcadère, pour nous conduire dans le salon où se trouvait le grand maître de la marine turque. J’avais été reçu dans des circonstances identiques quelque temps avant au Séraskiérat, par Enver-Pacha, et autant cette dernière réception avait été protocolaire, autant celle de Djemal fut gracieuse et sans-façon. Serrant'la main de chaque visiteur, offrant des cigarettes, ayant pour chacun de nous un mot aimable, Djemal aurait séduit, n’eût été son regard très vif, fuyant et mobile. En l’examinant attentivement, on sentait très bien qu’on n’avait pas en face de soi un Européen. Mais Djemal se dépensait tant, avait l’air si franc, et semblait tellement heureux quand il recevait des Français, que la méfiance s’éloignait vite. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait charmé et conquis le Tout-Péra mondain !... Il afallu les tueries de Palestine et de Syrie, les pendaisons, les massacres, pour arriver à comprendre que Djemal était tout simplement un sinistre farceur ! Ce Jeune-Turc n’était point sans défauts, à ¡’encontre d’Enver dont la tenue et la conduite ont toujours été irréprochables. Djemal était joueur. 11 passait la plus grande partie de la journée au cercle d’Orient, ne quittant pas la table de poker.