LIVRE PREMIER. 45 leur des circonstances. L’administration s’était beaucoup gâtée, et était devenue une des plus mauvaises de l’Italie. Le commerce négligé décroissait chaque jour; Venise eut cependant alors un grand projet, mais qu’elle ne put réaliser; c’était d’attirer vers le midi, dans la mer Noire et la Méditerranée, le commerce de la Russie qui a pris une fausse direction vers le nord, dans la Baltique, puisque sa pente naturelle est vers le bassin où tous les grands fleuves de ce pays aboutissent. Les formes du gouvernement tendaient à s’altérer; les désirs d’innovation, le mépris des anciennes doctrines, la corruption des mœurs, tout annonçait qu’une révolution s’opérait dans les esprits et que les idées du xyiii* siècle pénétraient à Venise. Ces symptômes n’avaient cependant rien de trop alarmant pour l’aristocratie et les dépositaires du pouvoir: le caractère du peuple vénitien, ses longues habitudes, son attachement réel au gouvernement étaient un grand obstacle à la propagation des idées subversives. Pour Venise comme pour beaucoup d’autres gouvernements, ce ne devait être là qu’une occasion de sages réformes, et tout au plus un moment de crise à passer. La puissance matérielle de la République était encore considérable. Son territoire continental, appuyé aux Alpes et à l’Adriatique, s’étendait de l’Oglio à l’Isonzo. De l’autre côté du golfe de Trieste, elle possédait l’Istrie et la Dalmatie, et à l’entrée de l’Adriatique, les îles Ioniennes, qui sont les clefs de celte mer, et d’où l’on peut tenir en échec l’Archipel; tout cela formait une population d’au moins 3 millions d'habitants, avec un revenu de 45 millions de francs, produit d’impôts modérés; la dette n’altei-