LIVRE PREMIER. 25 eût su la préserver d’autres invasions, tout aussi funestes qu’auraient pu l’être celles des Turcs! Vers la même époque, Venise faisait par la politique seule, et d’une manière singulière, une de ses plus belles acquisitions. Le roi de Cyprc, dans l’espoir de se ménager la protection de la République, si puissante alors en Orient, avait épousé une Vénitienne; mort sans laisser d’enfant, sa veuve, soutenue par Venise, hérita du trône. Mais peu après, elle consentit à abdiquer et à céder ses droits à sa patrie, et l’on vit ainsi une république s’agrandir, comme une monarchie, par un mariage. La prospérité et la grandeur de Venise atteignirent leur apogée vers le milieu du xve siècle. Venise était alors une ville de 200 mille ames , avec un port rempli de navires de toutes les parties du globe, avec des palais, des monuments, des richesses rappelant les splendeurs de l’Orienl. Ses possessions comprenaient une étendue d’environ 9 millions d’hectares avec une population de près de 4 millions d’habitants, et ses revenus dépassaient ceux d’états beaucoup plus étendus et plus peuplés. Ses troupes de terre valaient celles de ses voisins, et mieux payées et mieux entretenues, étaient plus fidèles. Sa marine militaire, bien organisée et montée par de hardis insulaires, était la première du monde. Sa marine marchande comptait des milliers de bâtiments, grands et petils. Le matériel de ses forces de terre et de mer était entretenu dans un arsenal qui faisait l’admiration de l’Europe, habilement administré et occupant parfois jusqu’à 15 mille ouvriers. Les patriciens avaient des palais plus magnifiques que ceux des rois, et déployaient un luxe inconnu partout ailleurs; le peuple vivait dans la tranquillité et dans