42 LIVRE PREMIER. quête de la Terre-Sainte, jetait alors sa dernière étincelle. Depuis ce moment jusqu’à la Révolution française, pendant trois quarts de siècle, Venise ne donne aucun signe de vie politique. Elle ne prend part ni aux guerres d’Italie qui se font à ses portes et jusque sur son territoire, ni aux affaires générales de l’Europe; elle ne songe qu’à se conserver en paix et à ne point donner d’ombrage aux autres états. On dirait d’une riche maison de commerce se retirant des affaires, et vivant de son antique opulence et de la considération attachée à ses grands travaux. Elle lit bien de ne pas se mêler de ces guerres du xvme siècle qui n’étaient que des questions d’équilibre entre les grandes puissances, et dans lesquelles elle n’avait qu’à perdre; s’il ne faut pas redouter la guerre quand elle est nécessaire, il ne faut pas la faire quand elle est au moins inutile. Malheureusement il est bien rare qu’une longue paix ne soit pas funeste ; elle maintient le bonheur matériel, mais elle énerve les aines, les rend lâches et les asservit. La guerre est fort triste, sans doute, mais elle retrempe et régénère, elle excite les bonnes passions et contient les mauvaises; c’est un mal qui guérit de maux plus grands ou y fait échapper. Bien souvent les nations s’usent plus dans la paix que par la guerre, et c’est ce qui eut lieu pour Venise qui ne sut pas éviter les dangers d’un repos trop prolongé. Les ressorts de l’état s’affaiblirent, les populations s’énervèrent; si les bonnes institutions restaient, les hommes capables de leur donner de la vie manquaient, et quand vint une époque extraordinaire où la simple prudence ne pouvait suffire, et où il fallait y joindre l’énergie et la force, Venise ne put s’élever à la hau-