54 LIVRE PREMIER, sacrifiait Venise et contre le vaincu qui l’acceptait. Ce réveil du sentiment national, ces démonstrations d’attachement à leur antique patrie prouvaient que les Vénitiens ne méritaient pas une si triste destinée. Ainsi finit Venise. Elle est tombée, non par la force naturelle des choses et parce que ses destinées étaient accomplies, car elle était aussi pleine de vie que bien d’autres états, et il n’est pas vrai d’ailleurs, que la chute dos nations soit l’arrêt fatal du destin : mais parce que, dans des circonstances décisives où il fallait de la clairvoyance et de l’énergie, elle a été aveugle et faible. Elle est tombée, comme peuvent tomber les plus forts, par un faux pas, elle est tombée enfin, pour s’être confiée à l’étranger. La France qui, pour défendre son indépendance et ses libertés, avait bravé l’Europe entière, devenue victorieuse, abusait de la victoire au point de sacrifier, de la manière la plus inique , le seul état qui ne s’était pas joint à ses ennemis. Et la cause principale d’une telle catastrophe était le ressentiment personnel cl l’ambition d’un jeune vainqueur qui, déjà rassasié de gloire en Europe, rêvait à l’Orient ; rêve qui fut une faute plus grande encore que le traité de Carnpo-Formio ; car en entrant alors dans les vues du Directoire contre TAngleterre, reprenant et agrandissant les projets de Hoche et y appliquant son génie, il pouvait faire pour la France plus qu’il n’a fait en 15 ans de victoires et de succès inouïs. Bonaparte est le véritable auteur de la chute de Venise, comme Frédéric II celui du partage de la Pologne, mais l’œuvre de Frédéric a été fort avantageuse à la Prusse, l’œuvre de Bonaparte n’a profilé qu’aux ennemis de la France (6).