LE BAZAR. 67 de cette excursion est attristante ; avec leurs couleurs et leurs broderies voyantes, les costumes des femmes d’Orient sont joyeux, comme elles sont elles-mêmes toujours gaies, faites pour plaire, insouciantes, on n’aime pas à les voir défraîchis, haillonneux, misérablement rebutés ; qu’était hier celle qu’ils ornaient, qu’ils faisaient attrayante? A la suite de quelles aventures sont-ils venus s’échouer dans les mains noires d’une revendeuse bohémienne ? Aujourd’hui sont devenus infiniment rares les longs et si curieux vêtements portés dans les riches familles musulmanes, pelisses d’été, entièrement doublées intérieurement de cols de canards sauvages, inimitable étoffe aux reflets d’émeraude dont la confection nécessitait des massacres des visiteurs d’hiver du grand lac et demandait des semaines de travail. Les industries les plus intéressantes de Scutari tendent malheureusement à disparaître et bien peu de collections posséderont des spécimens de cette opulence d’une autre époque. Un peintre seul trouverait dans l’enthousiasme pour son art le courage de supporter les fades émanations de la longue rue des bouchers et pourtant peu d’endroits sont plus saisissants comme effet de couleur que cette rue remplie d’ombre, en partie couverte par de larges toits qui s’avancent en plongeant à quelques mètres du sol, semblant s’incliner sous le poids des sanglantes carcasses qui leur sont accrochées et dont le sang ruisselle en pluie rouge sur les galets du trottoir; et dans cette boue brune et poissante, aux relents écœurants, le va-et-vient de la rue, les cris des bêtes poussées par des hommes rouges dans les boutiques où elles seront égorgées, des chiens attendant ou rongeant en grognant des déchets sanglants, et, couvertes d’essaims