86 SOUVENIRS DE LA HAUTE-ALBANIE. dans la haie d’un jardin, elle s’arrête, et se retournant, nous laisse voir un visage horriblement défiguré, le nez a été complètement coupé à partir de la base. L’ablation est récente, la cicatrice encore entlammée, répugnante à regarder. Elle reste hardiment devant nous qui passons, il y a du défi dans son regard. Elle n’a que vingt-deux ans, nous raconte un villageois, son mari la soupçonnait de lui avoir été infidèle ; n’ayant pu la surprendre, il l’emmena un soir dans les champs, lui lia les mains et la frappa pour la contraindre à reconnaître sa faute. Après son aveu, il lui coupa le nez qu’il lui mit entre les mains et rentra chez lui, l’abandonnant mutilée dans l’obscurité. Affolée par la douleur, la malheureuse vint au milieu de la nuit frapper à la porte du pope du village, dont la frayeur fut grande, en apercevant celte figure ensanglantée et horrible. Il la reconduisit dans la demeure d’un de ses parents chez lequel elle vit*. Son mari, qui depuis a assassiné un paysan, a disparu du village; il erre dans les montagnes, espérant échapper aux fusils de ses ennemis. Nous avions atteint le cabaret situé à l’extrémité de ce village slave, aux mœurs passablement étranges, et nous allions remonter à cheval, quand arrive une longue caravane de montagnards de Skréli, tribu importante et riche; ils venaient de la plaine avec leurs bestiaux, et retournaient dans leurs montagnes. Les hommes s’arrêtent pour boire du café, de l’eau-de-vie et fumer avec nous, pendant que les bêtes se précipitent assoiffées vers l'auge du puits et que les femmes lasses s’allongent à terre après s’être débarras- 1. Cette mutilée n’est pas la seule sur laquelle ait été faite cette douloureuse opération, j’en ai rencontré deux autres; leurs maris les avaient con servées auprès d’eux, satisfaits probablement de les avoir rendues horribles.