58 SOUVENIRS DE LA HAUTE-ALBANIE. Elles passent affairées, chargées de pesants fardeaux retenus par des cordes serrées sous les seins ou portant le lourd berceau de bois dans lequel est lié leur enfant et trouvant encore le moyen de filer en marchant ou de réciter leur chapelet. Elles s’arrêtent rarement; quand elles le font, pour parler avec une amie ou un parent qu’elles rencontrent, elles leur donnent l’accolade à la façon des religieux, plaçant les mains sur leurs épaules et passant successivement la tête de chaque côté de leur visage : cette salutation est en général précédée des paroles « Le Christ soit loué » auxquelles on répond « à jamais » ; les hommes se saluent de même. Je ne parle pas des habitants de Scutari, musulmans et catholiques des deux sexes qui encombrent les rues le jour du marché, ils sont peu intéressants à côté des fiers montagnards qu’ils exploitent en achetant leurs produits. De taille en général très élevée, secs et nerveux, avec de longues et épaisses moustaches plutôt blondes, car ils ne portent jamais labarbe afin de se distinguer des musulmans, la tête presque toujours rasée, ne conservant qu’une touffe de cheveux analogue au scalp des Indiens de l’Amérique1, veste et pantalon de grosse laine blanche, ceinture garnie de cartouches, dans laquelle passe un lourd revolver à la 1. L’habitude de se raser la tête et de n’y laisser qu’une longue touffe de cheveux à la partie supérieure du crâne n’est pas, comme on l’a cru quelquefois, pour les catholiques au moins, une précaution ; il a pu en être ainsi pour les musulmans qui portaient le turban et observaient des règles de propreté dont les montagnards n'ont encore aujourd’hui aucun souci ; c’est plutôt la continuation d’une mode apportée par les conquérants. C’était à cette époque dans l'habitude de couper la tète des vaincus : je l’ai encore vu faire pour les brigands tués dans des rencontres; afin d’éviter alors que dans ce cas on ne leur mît le doigt dans la bouche pour manier leur tète coupée, les musulmans conservaient cette touffe.