200 SOUVENIRS DE LA HAUTE-ALBANIE. sentant une croix au milieu d’un cercle1. A toutes les questions sur son origine, le soldat répondait qu’il était son fils. Ayant été incorporé dans les janissaires, il ne tarda pas à se distinguer par son courage, son habileté dans le maniement des armes et parvint à un grade élevé qui lui valut le commandement de la forteresse de Varna. Quelque temps après, le gouverneur de Croïa, qui était lu i-même de Varna et désirait revoir sa patrie, obtint de Constantinople l’autorisation de permuter avec son collègue de Varna ; peut-être ce dernier désirait-il de son côté se rapprocher de Rahitza. Ali Bey était depuis peu de temps à Croïa, dit la chronique qui m’a été communiquée, que les vieillards2 quand ils le rencontraient le regardaient attentivement, paraissant chercher à préciser un souvenir confus et semblaient prendre plaisir à s’asseoir devant la porte du château afin de le voir passer. Un jour qu’à cheval il croisait un groupe de paysans, une femme qui se trouvait parmi eux s’écria : « Mon enfant, mon maître! » et se mit à pleurer. Ali Bey surpris, lui ayant demandé les motifs de sa douleur, elle répondit en sanglotant : « Pardonnez-moi, Seigneur, mais j’ai cru voir en vous le fils de Mamiza Thopia, l’enfant que j’ai nourri de mon lait. Hélas je suis folle et vieille, car j’ai vu les soldats la tuer lors de la prise de la ville et lui, pauvre enfant, arraché de mes bras, il a disparu pour toujours. » Ce récit, la douleur de cette femme impressionnèrent 1. L’usage du tatouage était dans le temps fort répandu, m’a-t-on dit, en Albanie. Comme on coupait généralement la tête aux vaincus, on avait soin de tatouer l'enfant afin de le pouvoir reconnaître plus tard s'il était tué. 2. Peut-être d’anciens habitants, revenus après avoir embrassé l’islamisme.