SCHLAKO-KOMANI. 289 reprochant de ne pas laisser les morts en repos ; les travailleurs étaient trop bien rétribués, ils se trouvaient sous le vent du mouton que je leur avais offert et qu’on rôtissait en plein air, les malédictions les laissent indifférents : « Toi aussi, la vieille, lui crient-ils, nous te déterrerons un jour. » Je ne veux pas m’en faire une ennemie, je lui dépêche le prêtre qui lui explique que ceux dont on trouble le repos étaient des païens ; elle assiste à l’ouverture d’une tombe, elle n’y voit ni croix ni chapelet, elle nous quitte en murmurant et s’évanouit dans le taillis. Il est midi, l’heure du repos et du repas, je goûte un morceau du rôti albanais, fort bon ma foi, et l’abandonne ensuite aux montagnards qui, avec les doigts, ont vite fait de le dépecer ; je leur fais passer une boîte de sardines que j’avais ouverte, ils ne l’apprécient qu’à cause de l’huile qu’ils y trouvent, tous courent à leurs fusils et les huilent, consciencieusement. Des fruits exquis, figueset raisins, nous sont à ce moment apportés par une montagnarde, la femme de l’un de ceux qui ont intérêt à ne pas s’éloigner de moi, elle espère que je pourrai être utile à son mari ; elle a le droit d’être inquiète, le curé me conte son histoire, triste échantillon des mœurs terribles de ces contrées : son père a été tué, plus tard son fiancé ; successivement mariée trois fois, ses maris ont été tous tués dans des affaires de vengeance, celui qu’elle a aujourd’hui est également en sang ; je conçois ses craintes, et lui fais dire que je tâcherai d’intéresser le gouverneur général à cette affaire, puisque Sa Majesté le Sultan a récemment ordonné une pacification des sangs. Pendant qu’on me conte cette tragique histoire, je vois mes travailleurs assis en rond, fumant gravement, alors