17 L’ÉTUDE DU LEXIQUE D'UN PATOIS SLAVE D'ALBANIE ¡91 de l’absence de relations entre les deux enclaves. Des situations similaires se rencontrent aussi parmi les sous-dialectes de l’istro-roumain 1. Il ressort de ce que nous venons d’exposer que, bien que les emprunts lexicaux « se produisent au hasard, conditionnés par les besoins de ceux qui parlent la langue » 2, dans les enclaves dont nous nous occupons, les éléments acquis du milieu alloglotte se sont rattachés au système de la langue selon des normes respectées par tous ceux qui l’utilisent et ont, d’une manière évidente, un caractère systématique. Il faut mentionner encore que, sous l’influence de la langue albanaise, où apparait nettement la tendance d’abandonner les éléments lexicaux turcs, le parler bobostin, à son tour, perd lui aussi les termes__lexicaux turcs. On y remplace ask’er par ustarin3, bajrak par flamur, azàrlak par pregatitje, ek’im par doktor, dzeza par g’oba, jumbruk par dogana, ridza par lut je, zanat par profesion etc. La même tendance s’observe aussi dans le cas de certains termes grecs comme daskal, remplacé par arsimtar, paradosa (da) par dorâzojvi. Nous retenons le fait que l’enclave de Bucarest est plus conservatrice et continue à employer (en Roumanie) les termes en usage au moment de l’émigration, sans nulle tentative d’éliminer les éléments lexicaux turcs et grecs. Relevons aussi que l’on n’enregistre aucun exemple de substitution de termes : les termes slaves ne sont pas remplacés par des éléments lexicaux albanais. Il ne peut donc pas être question d’une réduction numérique des termes slaves par élimination ou par substitution ; ceux-ci ne varient pas du point de vue numérique, mais dans les nouvelles conditions de vie, les éléments lexicaux slaves étant insuffisants, la langue des deux enclaves fut obligée de recourir à des ressources étrangères. Néanmoins, malgré les éléments nouveaux pénétrés dans le lexique, dans les conditions actuelles, les membres des enclaves ne peuvent plus utiliser le patois en toutes circonstances et avec les mêmes résultats ; certaines manifestations du processus d’abandon du patois deviennent donc évidentes ; il n’est parlé actuellement que par un nombre restreint de personnes — la plupart âgés de plus de 40 ans — et il reste utilisé seulement en tant que langue de conversation familiale. La limitation de la sphère d’utilisation, déterminée par le rétrécissement des possibilités de communiquer une série d’idées, aboutira — avec le temps — à l’abandon complet du patois en faveur de la langue de culture. Dans les nouvelles conditions, le patois — après avoir perdu graduellement sa fonction de moyen de communication — est voué à la disparition. Le problème de la disparition des langues et des patois a formé l’objet de préoccupations spéciales ou tangentielles de certains linguistes roumains 1 K. Petrovici et P. Neiesco, Inconsistenfa enclavelor lingvistice, p. 294—295’ présentent des exemples, comme y ones (Jeiân) et gonesc (Suçnievi^a) ou muzés (Jeiàn) et muzésc (Susnievi^a). 2E. Petrovici, Interpénétration des systèmes linguistiques, Xe Congrès International des Linguistes, Bucarest, 1967, p. 10. 3 Voir aussi A. M a z o n, Documents, I, p. 449.