47 L’INFLUENCE ROUMAINE SUR LES LANGUES SLAVES 105 tières actuelles, mais s’étendait probablement à tout le territoire dacoroumain, et en repoussant comme non fondée l’hypothèse que grun aurait pénétré dans les langues slaves mentionnées, directement de l’aire actuelle de diffusion du phénomène (Banat, sud-ouest de la Transylvanie), il nous faut, implicitement, admettre que grun a été emprunté à une date plus ancienne à quelque endroit du reste de l’aire non conservatrice de la langue daco-roumaine, où nous trouvons aujourd’hui à la place du vieux grun, le motgrui1. En faveur de cette supposition semble plaider aussi le pol. gruj qui reflète l’innovation roumaine du passage du » à l’iota (i). Les doublets polonais grwh-gruj, corroborés par la forme roumaine archaïque sous laquelle apparaît cet emprunt dans les autres langues slaves citées, constituent un indice d’ancienneté : à moins d’une nouvelle vague de pâtres qui auraient apporté avec eux l’innovation gruj, il nous faut admettre que le pol. grun-gruj reflète la période où le dr. n des parlers dacoroumains non-conservateurs se trouvait dans sa phase de passage à l’iota, c’est-à-dire après le XVe s. L’ancien n latin, passé dans le dacoroumain à n avant e en hiatus, se retrouve aussi en v. roum. strigon (lat. striga -f suff. -oneus). Ce mot fait partie d’une série représentée par des termes d’un phonétisme rélict : muçuron (lat. mus araneus), furcon (lat. furcct -f- suff. -oneus) mentionnés aujourd’hui dans le parler dacoroumain du Banat et qui ont pénétré dans les langues slaves sous les formes : pol. strzygoh, slov. strigoii, strigun, tch. strigon... Des problèmes similaires à ceux exposés pour grun se posent aussi en ce qui concerne l’aire de pénétration et l’ancienneté. Le rhotacisme — ce vieux phénomène roumain attesté au XVIe s. sur le territoire daco-roumain ( — en Transylvanie du Nord, en Maramures, en Bucovine et en Moldavie 2) — se retrouve dans les mots slaves empruntés au roumain, tels que : ukr. jafyra, pol. afyra, jafer, slov. hafira, hafura, jafura, mor. hafere (cf. roum. dial, afirâ, litt. afinâ) ; ukr. putera, pol. putyra, uciera, slov. putera, mor. putyra (cf. roum. dial, putirâ, litt. putinâ). A côté de ces mots nous rencontrons aussi des formes sans rhotacisme : ukr. âfyna, pol. afyna ; ukr. pûtyna, pol. putnia. Le passage de la consonne n entre deux voyelles à r reconditionné par la présence d’un n dans la syllabe suivante, comme c’est le cas des mots cités, ne peut être mis au compte de l’évolution phonétique slave où le passage d’une consonne à r se produit dans de tout autres conditions (cf., par exemple, tch. dial, dërecek par rapport au litt. dëdecek «vieux, grand-père»). Une série d’emprunts roumains, parmi lesquels se trouvent de nombreux termes du domaine pastoral, conservent le son roumain dz (pour z) qui caractérise aujourd’hui les parlers daco-roumains du Maramures, de Moldavie et du Banat 3 : roum. dial, brindzâ (litt. brînzâ) — bg. brzndza, scr. brindza 1 Pour ce qui est de la présence de ce phénomène au nord de la Transylvanie et le Maramures, voir Al. Rosetti, Istoria limbii romàne, vol. IV—VI, Bucarest, 1966, p. 154 et pas. 8 Cf. Al. Rosetti, op. cit., p. 177, 249. 8 Cf. ALR, vol. II (Nouvelle Série), Bucarest, cartes: 420 (dzâr) ; 1075 (adzimd). T. Papahagi, Graiul si folclorul Maramuresului, Bucarest, 1925, p. 219 (a se dzârî, dzârîtà, dzamâ), 225 (mîndzarâ). Cf. aussi Al. Rosetti, op. cit., p. 246 et pass.