5 LES LIVRES POPULAIRES 261 Au fond, la même situation se trouve, en une grande mesure, dans les livres populaires d’autres peuples : à côté de formes archaïques il y a de fraîches expressions du parler vivant. Nous allons donner quelques exemples de YAlexandreida tchèque, qui quoique écrite sous forme de poème par un anonyme, aux confins des XIIIe et XIVe siècles1, elle a incorporé à côté d’archaïsmes beaucoup d’éléments lexicaux de la langue courante et populaire du temps : bliz pour blizko ’ près ’ ; dêtinÿ avec le sens ’ enfantin ’ à savoir ’ d’enfant ’, mais aussi ’ naif ’ comme aujourd’hui (dëtinny) ; hospoda ’ seigneur ’, plus tard ayant le sens de ’ petit restaurant ’ ou ’ auberge ’ ; l’ancienne conjonction le, le tak c’est-à-dire ’ aie tak ’ donc avec le sens de ’ mais ’, conjonction existante de même dans l’ancien polonais au lieu de aie 2 ; loviste ’ endroit pour chasse ’, ’ bois ’ ; en roumain il y a le toponymique Tara Lovis-tei ’ le pays de loviste ’ ; nâv pour hrob ou onen svët ’ tombeau ’ ou ’ l’autre monde ’ existant aussi sous la forme féminine nâv a : « vstâti z nâvy » ; nehoda ’ honte ’ : « boh mi nedaj tu nehodu » comme à nos jours dans le langage populaire « stala se mu nehoda », mais avec le sens plutôt de ’ malheur ’ ou ’ accident ’ ; osvêta au sens primordial de ’ lumière ’ (svëtlo), dans la langue contemporaine signifiant ’ culture ’ ; pakost ’ malheur ’, ’ dommage ’, d’origine protoslave, terme présent dans le parler polonais ’ robié pakosci ’ et aussi dans le roum. pacoste ; le populaire pavuza ’ perche pour serrer le foin ou la paille le long du char ’ (en polonais pawqz ou pawçz) ; plaz ’ fente ’, ' passage en roumain il y a la formation zâplaz presque au même sens ; pohuba ’ désastre en v. si. paguba, le roum. pagubâ ’ dommage ’, ’ perte ’ ; po sluzbé pour la locution contemporaine po zasluze ’ par mérite ’ ; umny au vieux sens de ’ capable ’, aujourd’hui le mot a le sens de ’ artistique ’ ; ütroba au sens des ’ entrailles ’, mais aussi de ’ pensée ’ : « a v zdravi jasen, v ütrobë » ; zdmutek au lieu du contemporain zârmutek, smutak ’ tristesse ’ ; zbava pour osvobo-zeni ’ libération ’ ; zyto ’ grais ’, ’ récolte ’, aujourd’hui ’ seigle ’, comme en polonais (zyto). Il y a encore, dans Y Alexandreida tchèque, beaucoup d’autres mots apartenant à l’ancien language et au parler populaire. Que les textes populaires contiennent en général des éléments linguistique de grande valeur cela est prouvé non seulement par les livres populaires de la zone slavo-roumaine, mais aussi par ceux de l’Occident, ceux-ci étant quelquefois révélateurs. Voilà que Le Livre des bêtes, manuscrit français anonyme du XVe siècle, d’ après le livre de Ramon Llull, Libre de meravelles (une partie seulement de celui-ci) et, en réalité, un reflet indirect du célèbre livre indien Pancliatantra 3, arrivé dans la littérature espagnole par l’interméde de la 1 'Von Alexandreida, édition par Vâclav VâZnÿ, Prague, 1963. 2 Al. Brückner, Slownik etymologiczny jçzyka polskiego, IIe édition, Varsovie, 1957, p. 292. 3 Publié maintes fois en traduction, (voir surtout la version française Panchatantra par J- B. Dubois, Paris, 1826, nouv. éd. 1872) et la version allemande par Theodor B e n f e y, Pantschatantra : fünf Bücher indischer Fabeln, Märchen und Erzählungen, Leipzig, 1859 (avec introduction et commentaires), nouv. éd., Hildesheim, 1968 ; édition critique anglaise par F. Edgerton, New-Haven, 1924.