262 I. C. CHITIMIA 6 version arabe de Ibn al-Muqaffa, Le Livre de Kalila et Dimna 1, étant publié récemment2 apporte des accomplissements à l’excellent dictionnaire étymologique d’Albert Dauzat, Jean Dubois et Henri Mitterand. Par exemple, pour la famille du mot barater ’ tromper d’origine méditerranienne inconnue, à côté de baraterie 3, Le Livre des bêtes apporte un primordial et expressif barat : «pensa le corbeau que [...] par barat se vengeroit du serpent»4. Le même livre emploie pareillement l’ancien verbe cheoir, remplacé par tomber à partir du XVIe siècle : « ung homme et ung serpent cheïrent en une fosse » ou « ung hermite pria Dieu que celle souriz cheïst en son giron. Dieu fist cheoir celle souriz au giron de l’hermite » 5. Il faut également signaler une série de raretés lexicales apportées par le même livre, le plus souvent populaires par forme ou sens : aym ’ hameçon ’ pour haim du lat. humus ; cremeteux ’ craintif ’ (il manque chez Dauzat, 209) de l’anc. fr. crieme éliminé par crainte ; decepveur ’ trompeur ’, formation peu connue 6 ; escondire ’ excuser voir aussi Le Poème de saint Alexis du XIe siècle: s’escondire ’s’excuser ’ ; escouffle ’ milan ’ de l’anc. breton skofla 7 ; goupil du lat. vulpiculus, remplacé peu à peu par renard : « ung goupil trouva en un pré une froissure » 8 ; jangle ’ bavardage ’ et jangler 9 ’ aboyer ’ du francique jangalôn : « Le chien fut portier et jangloit et faisoit à savoir au roy celux qui a lui venoient »; losengier10 ’ flatteur ’, formation inconnue, probablement par analogie populaire entre losange au ancien sens de ’ blason ’ et louange ; querre ’ chercher ’ pour quérir remplacé par chercher au XVIIe siècle ; trahitren, forme intermédiaire (connue encore sous traître) entre l’étymon latin traditor et le littéraire de plus tard traître. Le nombre des exemples peut être augmenté. Les écrivains des livres populaires ont introduit souvent des mots de la langue courante, considérée moins littéraire. Sous ce rapport on pourrait faire une recherche linguistique plus approfondie. Mais, en parlant strictement du point de vue littéraire, l’importance des livres populaires réside dans l’appel continu au parler vivant et dans le stimulent pour une formation de la langue littéraire en liaison avec le fond linguistique courant du peuple. D’ailleurs, les choses se sont passées dans un enchainement logique. 1 C f. S. de S a c y, Kalila et Dimna ou Fables de Bidpai, Paris, 1816 (étude historique et texte arabe) ; une édition plus récente fut donnée par A z z a m, Le Caire, 1941, traduite en français par A. M i q u e 1, Le Livre de Kalila et Dimna, Paris, 1957. 2 Deux éditions ont paru indépendamment : Il «Livre des bêtes» di Ramon Llull, traduzione francese anonima del XV secolo, par Giuseppe E. Sansone, Rome, 1964, et Raymond Lulle, Le Livre des bêtes, version française du XV-e siècle, édition avec une étude introductive et nouvelle version française par Armand Llimarès, Paris, 1964. 3 Albert Dauzat, Jean Dubois, Henri Mitterand, Nouveau dictionnaire étymologique et historique, Paris, 1964, p. 72. 4 Raymond Lulle, Le Livre des bêtes, p. 88. 5 Ibidem, p. 96, 70. 6 Voir A. Dauzat, op. cit., p. 223. 7 R. Lulle, op. cit., p. 70. 8 Ibidem, p. 134. 9 Ibidem, p. 64, 78. 10 Ibidem, p. 108. 11 Ibidem, p. 128.