178 LUCIA DJAMO-DIACONITA 4 ce moyen de communication, ont contribué plusieurs facteurs internes et externes. Nous en mentionnons quelques uns, à notre avis essentiels : 1) les deux bourgades n’ont jamais eu d’école de langue nationale, de sorte que l’apprentissage de la langue ne pouvait s’appuyer sur l’école. Il nous faut préciser que la population n’a jamais connu l’alphabet cyrillique, et que, au cours des essais d’écrire dans sa propre langue, on employait au XIXe siècle l’alphabet grec (Mémoire du maître d’école Dh. Canco, la lettre à l’exarque Antim), et au XXe siècle l’alphabet latin avec l’orthographe albanaise (différentes lettres privées) 1 ; 2) après la libération de l’Albanie de sous la domination turque ont été ouvertes, dans les deux bourgades, à la place des écoles grecques, des écoles élémentaires en albanais et, particulièrement après la seconde guerre mondiale, la jeunesse studieuse a vu s’ouvrir largement devant elle les portes vers l’enseignement moyen et supérieur, de sorte que la langue albanaise devient, naturellement, une langue de culture ; 3) la fréquence toujours plus grande des mariages mixtes ; 4) la diffusion, sur toute l’étendue de l’Albanie, de la jeune génération, qui ne s’occupe d’agriculture qu’à un pourcentage très réduit ; 5) la population des bourgades devînt mixte, parce que bien souvent des Albanais et des Aroumains vinrent s’installer à la place de certains habitants qui avaient quitté leurs maisons pours’en aller ailleurs. Dans ces conditions, l’enclave linguistique est sortie de l’isolement où elle avait vécu dans le passé, le nombre de ceux qui parlaient le patois s’est réduit et les habitants eurent la tendance de s’assimiler au peuple au milieu duquel ils vivaient. Le processus est parfaitement naturel, et l’albanais fait des progrès sans aucune pression extérieure2. D’ailleurs, on sait bien qu’une communauté plus restreinte oppose une résistence diminuée à une communauté plus grande ; on connaît aussi l’influence de la langue « officielle » et de culture 3. La jeune génération bilingue qui existait au moment où A. Mazon effectua son étude (t. I, p. 4) était formée par les adultes d’aujourd’hui qui, pareillement à leurs aînés, parlent l’albanais et le patois mais, évidemment, avec bon nombre d’éléments lexicaux nouveaux, puisque le progrès continu des connaissances a entraîné l’enrichissement du lexique du patois. Afin de satisfaire les besoins d’exprimer des notions nouvelles, le procédé couramment employé est l’emprunt — le recours aux possibilités de l’albanais — qui est actuellement l’unique source à leur portée. Par rapport aux possibilités d’enrichissement du lexique dans le passé, on constate la différence suivante : jadis, outre les emprunts, le patois avait recours aussi à ses propres ressources. Ainsi, par exemple, après avoir emprunté le nom albanais faj «faute» on a créé l’adj. fajlija4 «fautif» (différent de 1 Voir, par exemple, les lettres publiées par A. Mazon, Documents II, p. 56—73. 2 Voir A. Mazon, Documents, I, p. 4 ; voir aussi A. Snëgarov, op. cit., p. 10, qui a noté l’albanisation hâtive de la population des deux bourgades. Voir aussi V. I. L é n i n, Note critice în problema nafionalâ, Bucarest, 1960, p. 6, où il est souligné que les besoins de l’échange économique obligeront toujours les nationalités qui vivent dans un certain Etat d'apprendre la langue de la majorité. 3 Voir aussi Louis Deroy, L'emprunt linguistique, 1956, p. 131. 4 Voir A. Mazon, Documents, I,p. 404, qui enregistre dans son dictionnaire les deux mots.