192 LUCIA DJAMO-DI ACONITA 18 et étrangers l. En analysant le problème en son ensemble, Al. Graur distingue trois voies de disparition d’une langue 2 — dont la dernière est l’abandon d’une langue par une collectivité et l’utilisation d’une autre langue. C’est ainsi que disparaîtra aussi le patois dont nous nous occupons. L’une des causes qui contribuera à la disparition des enclaves linguistiques de Boboscica et Drenovjâne c’est la dispersion de leurs membres 3. Le patois, certes, ne disparaîtra pas brusquement, et le processus, commencé depuis plus longtemps, atteint de nos jours sa phase finale. D’ailleurs, il y a plus d’une trentaine d’années, A. Mazon avait surpris, peut-être même in statu nascendi, la situation de la population des deux bourgades qui « se trouvait toute préparée à faire partie de la communauté albanaise»4, ainsi que le rétrécissement de la sphère d’utilisation du patois. Dans les conditions actuelles, quand il ne peut plus être question d’isolement, de résistence devant la langue de la communauté albanaise, le processus de disparition se déroule à un rythme plus accéléré 5, de sorte que, parallèlement à la disparition des personnes plus âgés, le patois sera voué à l’oubli6. A. Meillet (op. cit., p. 99) et. J. Vendryés 7ont souligné le fait que la disparition d’une langue est précédée par une période de bilinguisme plus ou moins prolongée. Pour le patois de Boboscica, la période de bilinguisme est sur le point de s’achever. Dans le cadre familial — où l’on compte toujours plus de mariages mixtes — la jeunesse n’apprend plus le patois ; en ces conditions on aboutira à sa disparition graduelle, comme l’affirmait A. Meillet : « À partir du moment où les jeunes n’apprennent plus que la langue nouvelle, la langue ancienne disparaîtra au fur et à mesure que meurent les derniers vieillards qui la connaissent encore » [op. cit., p. 77). 1 Voir, par exemple, A. Meillet, Linguistique historique et linguistique générale, t. II, Paris, 1936, p. 77, 104, 107 ; J. V e n d r y e s, Le langage, Paris, 1921, p. 339—349 ; O. B 1 o c h, La pénétration du français dans les parlers des Vosges méridionales, Paris, 1929 ; Benvenutto Terracini, Conflitti di lingua e di cultura, Venise, 1957, p. 15—48, le chapitre Corne muore una lingua ; Al. Graur, Studii de lingvisticâ generalâ, Bucarest, 1960, p. 43-4—438, le chapitre Cum moare o limbâ ; I. Coteanu, Cum dispare o limbâ (istroromâna), Bucarest, 1957; M. Sala, Observafii asupra disparitiei limbilor, dans «Problème de lingvisticâ generalâ IlI-e vol., p. 107—124 ; M. Sala, Disparifia limbii fi polisemia, dans « Problème de lingvisticâ generalâ », IV-e vol., p. 147—158. 2 A1 Graur, op. cit., p. 434—438. 3 Voir aussi E. Petrovici et P. Neiesco, Persistance, p. 363, qui considèrent que les mêmes causes aboutiront à la disparition du mégléno-roumain. 4 A. Mazon, Documents, I, p. 4. 6 Voir aussi M. Sala, Observafii asupra disparifiei limbilor, p. 118, qui constate la même accélération dans le processus de disparition du judéo-espagnol. 8 Voir aussi E. Petrovici et P. Neiesco, qui considèrent que le patois istro-roumain de SusnieviÇa connaîtra le même sort (Persistance, p. 358). 7 J. Vendryés, La mort des langues, dans Conférences de l'institut de Linguistique de V Université de Paris, Paris, 1934, p. 8.