delà du Prouth après la première défaite. La bataille décisive entre les troupes turques et les hétairistes eut lieu, comme on le sait, à Sculeni au bord du Prouth. Kirdjali accomplit au cours de cette bataille des prouesses véritablement légendaires 29. En passant par Jassy avec le reste de ses compagnons, le brigand enleva le canon qui se trouvait devant le palais princier et le transporta sur le Prouth. Avec cette pièce d’artillerie, Kirdjali accomplit des miracles de bravoure, d’autant plus grands que la proportion numérique des deux camps était inégale: 12.000 Turcs contre 900 Grecs, auxquels étaient venus s’ajouter les 60 hommes de Kirdjali30. Le combat fut acharné. Le canon qui était un trophée et qui servait d’ornement dans la capitale de la Moldavie, faisait de grands vides dans les rangs des Turcs. Ayant terminé ses munitions, Kirdjali au plus fort de la bataille demanda à ses compagnons blessés de lui remettre leurs armes: yatagans, couteaux et sabres, avec lesquels il put continuer le feu. Il arracha finalement les boutons de ses vêtements et vida ses poches des thalers et des bechliks qu’elles contenaient pour en charger une dernière fois le canon. Blessé à la tête et le bras cassé, Kirdjali cria à ses camarades : « Frères, sauve qui peut » et la-dessus il se jeta dans les eaux du Prouth et suivi de Mihalache passa en Russie 81, Les avatars de Kirdjali à Kichinev, son arrestation et son évasion sont relatés par Vaillant, Ubicini et Béllanger avec des détails sur lequels nous insisterons au chapitre suivant, car cet épisode est relaté en entier dans le récit de Pouchkine. Après avoir échappé à la prison. Kirdjali recommença ses brigandages dans toute la Moldavie. Cependant, un document contemporain nous informe qu’au mois d’avril 1823, un « Gheorghe Càrjaliul » opérait avec d’autres haï-douks dans la contrée de Vîlcea (Petite Valachie). Par conséquant, à cette date la confusion des noms était assez évidente 32. Un beau jour le prince régnant du pays : Jean Stourza, lui-même fut sommé d’avoir à lui déposer dans un délai de 8 jours la somme de 2.000 ducats autrichiens, faute de quoi la capitale serait incendiée. Le 24 septembre 1824, « deux cadavres, couverts de blessures, se balançaient au gibet de Copou»33. Chopin et Ubicini attribuent la fin de Kirdjali à la trahison. L’un des siens l’aurait vendu et les hommes du gouvernement s’en seraient emparés pendant son sommeil et l’auraient pendu lui et son compagnon le 24 septembre 1824. Ainsi finit le célèbre Kirdjali34. L’écrivain roumain C. Negruzzi mentionne lui aussi la mort de ce brigand à une date où Pouchkine était encore en vie. « Le Kirdjali créé par Mr. Pouchkine comme un brigand à la Salvador Rosa, lut un voleur fort peu poétique. Je ne sais pas,s’il a demandé 5.000 lei, ce dont ‘9 II est intéressant de noter que Philippe Philipovi<$,Vigel, qui décrit le combat de Sculeni, ne dit rien de Kirdjali (ouvr. cité, p. 162 — 165). 30 Vaillant, oiwr. cité, p. 248. 31 E. R e gn a u 11, ouvr. cité, p. 132-133; Vaillant, ouvr. cité, p. 249 et s t. Béllanger, ouvr. cité, p. 62 — 63. 32 Academia R.P.R. CLXXX/173. 33 Vaillant, ouvr. cité, p. 257. 34 C h o p i n et Ubicini, Provinces danubiennes et roumaines. Paris, 1856, II, p. 114-115. 158 113