D’autre part, les guerres, intimement liées à cette époque, ont entraîné partout l’instabilité et l’insécurité. En l’absence d’une protection réelle, les habitants devenaient des haïdouks pour corriger dans une certaine mesure les abus et les injustices du pouvoir. La poésie populaire épique roumaine, bulgare et serbo-croate fourmille d’épisodes et de motifs où les « haïdouks » suppléent à l’absence de justice sociale2, en sacrifiant leur vie. Autrement dit il y a eu ici une lutte acharnée entre chrétiens et païens qui se reflète clairement dans les légendes et les ballades des peuples de la péninsule balcanique ; lutte sourde des populations autochtones dirigée contre l’hétérogénéité de la culture ottomane mais qui a laissé subsister malgré tout des portes ouvertes vers la hiérarchie des dignités ottomanes. Beaucoup de chrétiens ont renoncé ainsi à leurs croyances pour pénétrer dans la sphère d’activité musulmane, ouvrant ainsi le plus triste chapitre de l’histoire des rapports turco-chrétiens, celui des renégats 3. Les pays dominés par les Ottomans présentaient donc une série d’éléments qui étaient à même de captiver la fantaisie de n’importe quel écrivain romantique4. Mais il fallait aussi des circonstances capables d’éveiller l’intérêt pour ces formes de culture et elles n’ont pas manqué. Cette pénétration de l’élément balcanique dans la civilisation européenne, dont elle a réussi à susciter l’intérêt n’est qu’un chapitre de l’histoire des influences occidentales sur la littérature slave et vice versa. Car le romantisme a aussi le mérite d’avoir facilité et accru la circulation des éléments de culture sur le plan européen. En ce qui concerne les Principautés roumaines, situées dans la zone orientale de l’Europe et dans le voisinage immédiat des peuples slaves, la voie de la culture occidentale lui a été ouverte à la même époque qu’à ses voisins. Nous n’insisterons pas, bien entendu, sur ce problème complexe et d’une grande importance pour la littérature slave comparée et nous ne rappelerons que quelques-unes des circonstances qui ont permis aux régions, dont nous nous occupons, de s’élever vers la sphère spirituelle de l’Europe. Il convient de rappeler aussi, qu’en dehors de la conception romantique générale qui a accru l’intérêt pour le destin et la vie des petits peuples, il existe quelques autres périodes décisives dans ce même sens. Il s’agit en premier lieu, de l’admiration soulevée autour de la poésie populaire serbo-croate, qui fut une véritable révélation. Le fait eut lieu avant la publication du recueil de Herder, 5 et cela à une époque où l’Europe connaissait fort peu de choses sur la structure et les thèmes des productions populaires En 1771, après un voyage dans les contrées croates, l’abbé Fortis publia un premier volume intitulé: Osservazioni sopra l’isole di Cherso et Osero, (Venise, 1771) suivi trois ans après de deux autres volumes: Viaggio in Dalmazia, deÏÏ Abate Alberto Fortis, (Venise, MDCCLXXIV), auxquels il annexa toute une 2 Cf. aussi notre étude Vuncfia sociala a /olclomlui balcanic, Valenii de Munte, 1940. 3 Par bonheur, fort peu de roumains ont été séduits par la charme d’un tel travestissement. Ci. N. I o r g a, Reriegafii ln trecutul fârilor noastre al neamuhii rominesc. « Analele Academiei Romîne, Mem. sec{. ist.», 11-e série, t. XXXVI (1913 — 1914), 1914. p. 799-806. 4 Cf. aussi N. I o r g a, La création du Sud-est européen, Bucarest, 1919. 6 .1 o h. Gott. Herder, Stimmen des Völker in Liedern, Halle u. Saale. 1778. 106