avait replié son papier et s’adressant aux badauds, leur avait enjoint de se disperser. Après cela il avait donné au cocher l’ordre de partir. Dans le même instant, Kirdjali se retournant vers le vieillard lui avait dit quelques mots en moldave. Sa voix tremblait, son visage avait changé d’expression et il était tombé en pleurant aux pieds du fonctionnaire de la police. Effrayé celui-ci fit un bond de côté. Les soldats voulurent relever Kirdjali, mais il se mit debout tout seul et saut a dans la carriole en criant: En route 1 Le gendarme qui l’accompagnait prit place à côté de lui, le cocher moldave fit claquer son fouet et la carriole s’ébranla. Interrogé à ce moment par un jeune fonctionnaire sur les paroles prononcées par Kirdjali, le plus âgé répondit que Kirdjali l’avait prié d’avoir soin de sa femme et de son enfant qui vivaient non loin de Chilia, dans un village bulgare. Le stratagème de l’évasiou « Le récit du jeune fonctionnaire m’a beaucoup ému, ajoute Pouchkine. Je regrette pour le pauvre Kirdjali. » Pendant longtemps Pouchkine ne sut plus rien sur le sort du brigand. Quelques années plus tard ayant recontré à nouveau le jeune fonctionnaire, qui lui avait fait ce récit et s’étant mis à parler du passé, celui-ci lui dit que» transporte à Jassy Kirdjali avait été remis au pacha qui décida de le faire empaler. Mais l’éxécution fut ajournée à cause d’une fête. Entre temps on l’avait envoyé en prison en le confiant à la garde de sept Turcs, tous gens simples. Kirdjali et ses gardiens se lièrent très vite et un beau jour Kirdjali leur dit: Frères, ma fin est proche. Personne n’échappe à son destin. Je vais vous quitter sous peu et j’aimerais vous laisser quelque chose en souvenir de moi. Les Turcs dressèrent l’oreille. Suit le stratagème si connu grâce auquel Kirdjali évade de prison. L’épisode stigmatise la cupidité des Turcs et souligne l’habilité et la présence d’esprit du brigand. CONFRONTATION AVEC LES SOURCES HISTORIQUES C’est à peine en 1834, date à laquelle il le donna à l’impression43, que Pouchkine termina la composition du récit ci-dessus, c’est à dire suffisamment longtemps après son départ du Sud-Ouest de la Russie. Le fait a contribué à maintenir l’incertitude qui plane sur les sources où Pouchkine a appris les aventures de Kirdjali. A défaut de documentation historique sur les exploits de Kirdjali, ceux qui ont analysé ce récit ont été préoccupés avant tout de le confronter avec la réalité. On a pu établir que Pouchkine n’avait pas voulu tenir compte de l’ordre chronologique des événements et que, supprimant le laps de temps écoulé entre le combat de Sculeni et l’arrestation du brigand, il avait transposé toute l’action en 1821 c’est à dire durant la période qui suit immédiatement le combat qui se déroula sur les rives du Prouth. Il nous faut donc, pour arriver à un classement des éléments commencer par analyser le fond même du récit. 43 « Biblioteka tllja ctenija », St. Pétersbourg, 1834, VII, p. 197 — 204. 118