a). Nouvel épisode de la lutte. Lorsque Safianos eut terminé ses cartouches, continua Kirdjali, pour impressionner la police russe, il vint chez nous à la quarantaine pour rassembler auprès des blessés les dernières cartouches, boutons, chaînes, clous, restes de yatagans, qu’il put trouver. Je lui ai donné 20 bechli car il n’avait plus le sou. Dieu seul sait comment moi, Kirdjali, j’ai pu vivre de la charité publique et en échange, les Russes veulent me livrer à mes ennemis. Le départ de Kirdjali raconté par un fonctionnaire russe Le commandant russe, n’ayant aucune raison de tenir compte du côté romantique des haïdouks, se décida à envoyer Kirdjali à Jassy. Un homme de coeur, alors jeune fonctionnaire, et qui occupe aujourd’hui un poste important m’a relaté, dit Pouchkine, le départ de Kirdjali. Devant la porte de la prison, une voiture de poste s’est arrêtée. Mais peut-être ignorez-vous ce que c’est qu’une voiture de poste. C’est une petite carriole basse à quatre roues, dont la caisse est faite de branches tressées et entrelacées, à laquelle on attelait il n’y a pas encore si longtemps, six ou huit chevaux. L’un de ces chevaux était monté par un moldave moustachu, qui criait et faisait claquer son fouet sans arrêt. Ces vieilles rosses soutenaient un trot suffisamment rapide. S’il arrivait à l’une d’elles de rester en arrière, le Moldave la dételait en jurant et l’abandonnait sur la route sans plus se préoccuper de son sort. Il était sûr de la retrouver à son retour au même endroit broutant tranquillement l’herbe verte. Il n’était pas rare que parti d’un relais avec huit chevaux, on arrive au relais suivant avec deux seulement. Ainsi ?e passaient les choses il y a quinze ans. Maintenant cette région du Sud-Ouest de la Russie a adopté elle aussi le harnais et la voiture de poste russes. C’était un véhicule de ce genre qui stationnait devant la prison vers la fin de septembre 1821. Des juives sales, des albanais aux costumes dépenaillés mais pittoresques, de souples moldaves, tenant par la main des enfants aux yeux noirs, l’entouraient. Les hommes se taisaient et les femmes attendaient quelque chose impatiemment. La porte s’ouvrit bientôt devant quelques policiers qui sortirent dans la rue suivis de deux soldats qui amenaient Kirdjali enchaîné. Il paraissait âgé de 30 ans environ. Les traits de son visage étaient réguliers et durs. De haute taille et large d’épaules il donnait l’impression d’une force peu commune. Il portait sur la tête un turban bariolé et une large ceinture de cuir ceignait sa taille. Un dolman fait d’une étoffe épaisse et de couleur bleue, une chemise dont les pans s’arrêtaient au-dessus du genou et des souliers rouges composaient tout son habillement. Son regard était fier et tranquille. Un fonctionnaire âgé à la face rougeâtre et vêtu d’une jaquette officielle élimée à laquelle pendaient 3 boutons ayant chaussé ses lunettes, déplia un papier et se mit à lire quelque chose en langue moldave. De temps en temps il abaissait son regard sur Kirdjali enchaîné auquel le papier s’adressait. Celui-ci écoutait avec attention. Après avoir terminé sa lecture, le fonctionnaire 117