— et son caractère populaire nous empêchent de le considérer comme un emprunt tardif fait au latin écrit (littéraire). L’influence du latin vulgaire doit être admise même au cas où elle ne serait basée que sur la seule considération que l’évolution du sens « lumière », « reflet » à celui de « lune », du mot indo-européen primitif, qu’on retrouve dans tant de langues indo-européennes, n’aurait pu que difficilement se produire d’une manière indépendante en latin, en celtique et en slave. L’apparition de ce sens en latin et en celtique peut être expliqué, par ce qu’on a appelé le stade ou la langue italo-celtique. Mais comme d’autres langues indo-européennes — le germanique primitif et l’illyrien — s’interposent entre l’italo-celtique et le slave primitif, celui-ci n’a pu subir l’influence du premier, pas plus qu’il n’a pu avoir une évolution sémantique commune avec l’italo-celtique. Une influence du latin au début du moyen-âge doit être d’autant plus admise, que certaines langues slaves (le russe, le croate et le serbe) possèdent également le mot lunâtik «lunatique», «somnambule», qui dérive d’une manière certaine du latin lunaticus « idem »3. Quant au mot serbo-croate lûnatik, il est vrai que Bud-mani et Maretic (Rjecnik hrvatskoga ili srpskoga jezika, VI, s.v.), qui affirment ne l'avoir trouvé que chez un seul écrivain du XVIII e siècle (K. Magarovié), le considèrent d’origine italienne. Mais le fait que ce mot se trouve aussi en russe ne saurait être fortuit. Nous sommes en présence des derniers vestiges d’une aire plus vaste qui s’étendait autrefois, aussi sur les territoires slaves intermédiaires: le tchèque, le slovaque, le polonais et l’ukrainien. En tout cas, sa présence dans les parlers russes, où l’on ne peut pas l’expliquer par l’italien, nous incite à croire que l’explication qui sera donnée pour le mot russe est valable aussi pour le mot serbe. Ainsi donc une influence latine sur les langues slaves est à ce point de vue indubitable. On peut cependant se demander si, dans ce cas, il s’agit d’une influence latine ou d’une influence romane, si cette influence est littéraire, si elle s’est exercée par l’intermédiaire du latin médiéval ou par celui des langues littéraires romanes, ou bien encore si cette influence est une influence populaire et si elle appartient à la latinité ou à la romanité balkaniques. Jusqu’à ce jour les chercheurs n’ont pas encore fourni les précisions qui s’imposaient. Nous avons repoussé plus haut l’influence du latin médiéval. Pour les mêmes motifs nous devons pourtant écarter aussi l’hypothese d’une influence directe du latin, au temps de l’Empire romain et jusqu’au Vl-e siècle, sur la langue slave primitive, car, au cours de cette époque, l’influence du latin sur le slave primitif a certainement été ou nulle ou très faible4. Tout ce que l’on peut admettre c’est une influence romane après le Vl-e siècle, c’est-à-dire après la prise de contact des Slaves avec la population romane du Danube, des Carpathes, des Alpes et de la péninsule balkanique, et après leur établissement dans ces régions. La population de langue latine de ces territoires ne s’était pas encore suffisamment différenciée au point de vue linguistique pour que l’on puisse parler de Réthoromains, de Dalmates et de Roumains, et elle n’é- 8 Scriban, Dicfionaru limbii romtnesti, s.v., cite également un vieux slave lunatikü, qne nous ne trouvons cependent pas chez M i k 1 o s i c h, Lexikon paleoslovenico-graeco-latinum. Pour le russe, cf. D a 1’, ToAKoebiü CJioeapb, Ill-e, édit., II, 1905, p. 707. 4 Au sujet du terme slave Trojanü, d’origine latine, considéré par Niederle comme •ayant été emprunté au Il-e siècle par les Slaves aux Romains, v. plus loin. 47