24 Acad. EMIL PETROVICI Fondé sur le témoignage des documents et des voyageurs qui ont visité notre pays au Moyen Âge, Ioan Bogdan démontra que l’assimilation de l’ancienne population slave sur notre territoire avait été achevée avant le XlV-ème siècle. C’est l’un des grands mérits du fondateur de la philologie slavo-roumaine d’avoir enseigné aux Roumains à connaître leur ancienne culture à la reconnaître comme leur, en dépit du fait qu’elle s’exprimait dans une langue étrangère. Le peuple roumain, du reste, n’avait pas constitué une exception parmi les peuples de l’Europe. Au Moyen Âge l’Europe était divisée, du point de vue alphabet et langue (langue de l’Église, de l’administration, de la justice, de l’historiographie et, en général de la littérature), en deux zones: l’une occidentale, où l’on écrivait en latin, avec l’alphabet latin, et l’autre orientale qui utilisait l’alphabet grec ou l’alphabet cyrilique et avait pour langue ecclésiastique, administrative et littéraire, le grec ou le slave; cela sans considération des idiomes parlés par les peuples vivant dans chacune de ces deux zones. Les peuples germaniques, les Slaves occidentaux, les Magyares et les Romans de l’ouest ne reniaient pas leurs antiques cultures, du fait qu’elles ne ne s’étaient pas exprimées dans la langue du peuple. Il eut été donc absurde que les Roumains considérassent étrangère leur vieille civilisation pour le seul fait de s’être exprimée en slavon. Notre grand slaviste a démontré que les Roumains n’ont pas adopté passivement des éléments de culture slave et le slave littéraire. Ils ont emprunté activement, du milieu où l’histoire les avait placés, tout ce qui leur était nécessaire pour subsister en tant que peuple et Etat dans le concert des peuples et des Etats du Sud-Est européen; ils ont su imprimer à leur propre culture «les caractères de leur esprit; humanité, juste mesure, bon sens et le goût du beau», comme le déclarait Ioan Bogdan dans sa conférence sur l'ancienne culture roumainex. C’est Ioan Bogdan qui à découvert notre ancienne historiographie en langue slavonne et qui l’a fait connaître aux spécialistes et au public cultivé de chez nous, grâce à ses éditions érudites et commentées où — selon la remarque de Nicolae Iorga « on ne laissait rien d’inexpliqué» aux lecteurs. — Et voici maintenant l’appréciation que le grand philologue et historien accordait à l’œuvre originale, en slavon, de nos premiers annalistes et de nos premiers chroniqueurs, qu’il replaçait dans le cadre de leur époque et dans le milieu où ils avaient vécu: Si nous comparons notre vieille historiographie à celle des pays circonvoisins, à celle des Bulgares, des Serbes et des Russes par exemple, nous avons la fierté de constater que les nôtres, en matière d’objectivité de jugement et de vivacité de la critique, ne sont pas inférieurs à leurs contemporains étrangers» 2. Il faut enfin souligner le grand mérite de Ioan Bogdan en sa qualité d’éditeur de nos documents slaves des archives de Brajov et de ceux d’Etienne le Grand. Ces éditions ont demeuré jusqu’aujourd’hui des modèles à suivre pour les éditeurs de vieux documents. Elles ont joui, elles jouissent encore, d’une haute appréciation de la part des spécialistes roumains et étrangers. C’est ainsi que le bien connu slaviste bulgare Liubomir Miletic, contemporain de Ioan Bogdan, à qui l’on doit aussi une édition des documents slavo-roumains de Bra§ov, a exprimé bien des fois son admiration pour le labeur d’éditeur déposé par Ioan Bogdan. A ses cours de médio-bulgare à l’Université de Sofia et à ses séminaires où il se livrait à des lectures suivies d’interprétations linguistiques des textes publiés par son collègue de Bucarest, Miletic n’omettait jamais de souligner à ses étudiants la conscience et la virtuosité du savant roumain. De nos jours encore les slavistes parlent avec la même admiration des éditions de documents et de textes slaves soignés par notre grand slaviste. Même si une fin prématurée, à l’âge de 55 ans, l’a empêché de donner la grande synthèse de notre culture ancienne, que l’on attendait de lui Ioan Bogdan n’en occupe pas moins une place de choix dans l’histoire de la science roumaine, car il est le fondateur des études slaves en Roumanie, de la discipline délimitée par lui-même en tant que « philologie slavo-roumaine». Son héritage scientifique est étudié de nos jours et mis en valeur aussi bien par nos historiens que par nos philologues, par ceux qui étudient l’histoire de la littérature et de la langue roumaine. 1 Luptele românilor eu turcii pinâ la Mihai Viteazul. Cultura veche românâ. Doua conferinte. .Bucuresti, 1898, p. 48. * I. Bogdan, Cultura veche românà, p. 76 — 77.