Mais un examen plus poussé de cette source montre que, achevée à peine en 1839, elle n’est qu’une amplification abondante de la biographie plus ancienne de 1767, par interpolation d’informations de valeur et provenance diversses. Ce que l’on croyait être la tradition bien conservé par les moines de Tismana au sujet de leur fondateur (traditions ayant ses origine dans la Vie du saint rédigée en slave par ses propres disciples, et par conséquent à peu près contemporaine) n’est qu^un tissu d’hypothèses gratuites appartennant au compilateur du XIX-e siècle, l’hiéro-moine Étienne. Si une« Vie slavonne» de ce Saint a jamais existé, elle était sûrement déjà perdue avant 1767 et peut-être même avant la visite de Paul d’Alep à Tismana (milieu du XVII e s.). A cette époque déjà, la tradition, pauvre en détails, qui se conservait au monastère, avait commencé à s’enrichir de mythes pieux et de fausses interprétations historiques. Quant aux informations qui, à en juger d’après leur contenu et leur forme, proviennent, dans l’œuvre du compilateur du siècle dernier, d’une source slave, elles se laissent expliquer par l’utilisation de la collection de Vies des tsars et archevêques serbes, due à l’archevêque Danilo. Conséquemment, la Vie de Nicodème, écrite par l’hiéromoine Etienne — tout comme en général la tradition conservée à Tismana — ne nous offre pas un matériel riche et sur pour connaître la biographie du personnage qui nous préocupe ici, mais tout au plus des informations sporadiques, vagues et souvent confuses. On ignore quand Nicodème est né. La tradition ne nous offre à cet égard que le détail que son père était un grec originaire de Castoria. Tout le reste repose sur des combinaisons incertaines ou visiblement fausses, qui appartiennent aux historiens du siècle passé et sont fondés sur des coïncidences de noms ou sur des confusions. Il est possible qu’il ait fait son noviciat au Mont Athos, comme on le suppose. Mais il est certain que ce n’est pas de la qu’il s en vint dans la Valachie du voévode Vladislav I-er pour y établir sa première fondation au nord du Danube, le couvent de Vodija. Déterminant la date probable (1372) et les circonstances historiques qui présidèrent à la construction de Vodija, l’auteur montre que l’ancien point de vue selon lequel Nicodème aurait gagné la Valachie de peur des Turcs au lendemain de la bataille de Crmen (septembre 1371) ne peut plus être soutenu. En revanche, il est bien plus plausible que ce moine se réfugie au nord du Danube en s’enfuyant de la région de Vidin qui, entre 1365 et 1369, avait connu l’occupation des Hongrois catholiques, suivie de la tentative de soumettre au siège de Rome les orthodoxes de la contrée. On dispose d’informations certaines que Nicodème éleva des églises au sud du Danube dans la Kraina et il est impossible que ces dernières l’aient été après la construction de celles de Valachie. Le choix de l’emplacement, périlleux, où fut fondé Vodija, s explique en bonne partie par le fait que cette région est très proche de Kraïna. Le refuge de Nicodème au Nord du Danube correspond du reste au fait que le métropolite de Vidin vint lui aussi s’abriter en Valachie et il y demeura longtemps, même après le retrait de la domination catholique magyare et le retour de tsar Stracimir, prisonnier en Hongrie durant l’occupation de Vidin. Il faut observer en même temps que l’unique manière d’expliquer historiquemment le seul« miracle» que connaissent tous les enregistrements de la tradition relative à Nicodème — son «passage par le feu» — c’est d’y voir« l’épreuve du feu». Mais pareille « épreuve», on le sait, n était pratiqué qu’en matière de litiges eclésiastiques, interconfessionnaux surtout. Elle n aurait pu avoir lieu — surtout en présence d’un roi de Hongrie — telle que la montrent trois des quatre enregistrements de la tradition — qu’à l’époque seulement où Nicodème se trouvait à Vidin. \odija a constitué un centre de propagande, sous le vêtement de la religion, en faveur des knèzes roumains (orthodoxes) du banat voisin de Timiçoara, que la noblesse magyare menaçait, sous prétexte de leur appartenance religieuse, de déposséder de leurs terres. Cette propagande constituait la réponse du voévode roumain aux instigations similaires des souverains hongrois, empruntant le masque du prosélytisme catholique en Valachie. Nicodème nous apparait ainsi comme l’un des nombreux protagonistés, sous la forme religieuse propre à l’époque, de la résistance des contrées danubiennes à la tentative de conquête faite par la noblesse magyare, avec le roi Louis le Grand en têté, et patronée par le Saint Siège. La première fondation de Nicodème, Vodita, n’a pu avoir, dans ces condition, qu’un fonctionnement de courte durée: entre l’automme 1374 et les premiers mois de 1376 elle fut peut-être détruite partiellement et, à coup sûr, occupée, en même temps que la forteresse de Severin, par les armées du roi de Hongrie. La communauté monacale de l’endroit demeura ainsi sans abri et sans les ressources nécessaires à son existence. Ces événements semblent s’être déroulés avant l’été 1375, quand Nicodème fut attaché comme interprète auprès de la délégation que la couronne et l’Eglise de Serbie envoyèrent à Constantinople en vue de renouver leurs liens avec le patriarcat œcuménique. Une guerre perdue par le prince de Valachie Radu I-er (le succeseur de Vladislav) écarta pour un certain temps les espérances valaques de réoccuper Severin et du coup, celles de moines de Nicodème de reintégrer leur fondation de Vodija. Le résultat fut que cette communauté fonda alors son nouveau siège, celui de Tismana, dont l’église fut consacré e 284