folklorique, la communauté ne s’établit point uniquement par des emprunts de sujets mais aussi par la large circulation des thèmes et des motifs, par la similitude des procédés de composition propres aux différentes espèces et aux différentes époques, par les ressemblances entre les figures des héros, par certains lieux communs. Il existe donc dans la sphère de l’art épique populaire, notre thème y compris, entre tous les peuples balkaniques une circulation de motifs, épisodes, types de héros, manière de composition, clichés et autres procédés de réalisation artistique qui impriment une grande ressemblance à certains chants. Cette communauté épique a été autrefois beaucoup plus serrée. Nous nous bornons à en signaler les vestiges dans les chants qui nous sont parvenus. Cette communauté ne peut s’expliquer par le simple jeu des emprunts ni exclusivement par le contact des zones bilingues. Les œuvres épiques ont été chantées par les professionnels et ceux-ci ont circulé sans arrêt dans le Balkan, ils y ont chanté en différentes langues aux grandes réunions populaires, aux foires, aux fêtes patronales, dans les auberges, etc. Le récit du chroniqueur polonais Macjej Stryjkowski témoigne de l’ampleur de l’atmosphère épique qui existait dans les villes et les cités des Balkans à l’époque féodale. Quoiqu’ils chantassent dans leurs langues maternelles, en tant que professionnels qui circulaient beaucoup, les chanteurs épiques connaissaient probablement plusieurs langues, écoutaient leurs confrères, empruntaient des thèmes, des motifs, des images aux chants entendus afin d’enrichir leur propre répertoire de nouveaux moyens artistiques. De cette manière les ménétriers de langues différentes créèrent un arsenal balkanique de moyens artistiques propres au monde auquel ils appartenaient. C’est cet arsenal qui nous fournit ces éléments proches, parfois identiques, des différentes formes nationales de notre thème. La comparaison historique-typologique sur la base des résultats des recherches poussées sur le thème chez tous les peuples des Balkans et de l’analyse folklorique des éléments similaires de structure par la perspective de l’arsenal des moyens de réalisation de l’art épique balkanique apportera, sans doute, des éclaircissements sur les principaux problèmes soulevés par la ressemblance des chants balkaniques sur la construction du pont de l’Arta ou de la Drina, du monastère d’Arges, de la forteresse de Skadar ou de Deva. Les résultats obtenus par ce procédé conduiront à une typologie historique de tout le fonds balkanique de chants, ayant le même thème, et expliqueront aussi la situation du thème, sous ses formes balkaniques, dans l’ensemble du folklore européen. Jusqu’à présent, par exemple, les légendes des peuples occidentaux et nordiques de l’Europe ayant comme thème le sacrifice de la construction ont été négligées sous prétexte qu’elles ne seraient que des références historiques et ethnographiques. Mais comme l’a démontré 0. Papadima: «Elles ne sont pas de simples chroniques « mémorables » des faits sensationnels, mais des œuvres d’art littéraires construites sur une violente antithèse: l’innocence de l’enfant — la cruauté de certains parents avides d’argent »1. G. Cocchiara mettant encore mieux en valeur sous l’aspect littéraire les 1 O. PAPADIMA, ibidem, p. 70. 444