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LA RÉVOLUTION TURQUE
avec Panitza, l’assassin de Boris Sarafof; il prépare, dit-on, sa candidature aux élections. Les Bulgares de Macédoine, émigrés dans la Principauté, reviennent. Les prisons se sont ouvertes; des centaines d’hommes, l’élite des nationalités concurrentes, en sont sortis, mais c’est pour fraterniser entre eux et avec les Turcs. Les Albanais jurent d’oublier leurs vendettas séculaires, de vivre désormais en honnêtes paysans, en citoyens paisibles. A Salonique, les rues sont pleines d’étranges figures basanées de brigands apprivoisés, anthartes grecs et comitadjis bulgares. Hilmi-pacha les harangue; il dit aux Grecs, venus de Thessalie pour le féliciter, la joie du peuple turc et son espoir dans le règne de la concorde universelle. Quant aux officiers « réorganisateurs », aux conseillers financiers, à tout le personnel européen des réformes, ils regardent et ils attendent. Ainsi s’évanouit, dans l’allégresse générale de tout un peuple, le fantôme sanglant de la Macédoine; tout ce qu’il y avait, dans les revendications des nationalités, de factice et d’artificiel, apparaît; être devenus citoyens d’un pays libre et constitutionnel suffit, pour le moment, aux habitants de la Macédoine ; ils attendent de la liberté et de l’esprit de justice du nouveau régime la satisfaction de leurs multiples espérances.
  De tels élans d’enthousiasme universel peuvent soulever un peuple au-dessus de lui-même et lui faire accomplir de grandes choses; mais, de leur nature même, ils sont passagers; après les heures de fièvre, le terre à terre de la vie courante reprend son empire; on s’accoutume vite à la liberté, et fes avantages dont on jouit ont bientôt perdu le meilleur de leur prix; la nature humaine reparaît avec ses besoins, ses passions, ses jalousies, ses instincts héréditaires : alors la féerie cesse et la mêlée des intérêts commence. Certes, nous croyons qu’il restera beaucoup du mouvement actuel ; personne ne souhaite, et même si on le souhaitait, per-