LA RÉVOLUTION TURQUE 61 procédés arbitraires et tyranniques, les Jeunes-Turcs, — et c’est à leur honneur, — reprochent au régime hamidien de diminuer la patrie ottomane. Le mouvement nationaliste ne se traduira point, bien entendu, par une expulsion en masse des étrangers, par une poussée de xénophobie brutale et irraisonnée analogue, par exemple, à la guerre des « Boxeurs. » Les Jeunes-Turcs savent trop bien pour pouvoir l’oublier tout ce que leur pays doit aux étrangers pour ses finances, ses travaux publics, son armée même et sa marine ; leurs comités ont reçu, chez les nations occidentales, hospitalité et protection ; ils sont imbus des idées et des principes de gouvernement des peuples libéraux européens, mais ils en veulent faire eux-mêmes application à leur pays, et si leur programme est « la Turquie libre », il est aussi « la Turquie aux Turcs. » Comme les Japonais, ils emprunteront aux peuples plus anciennement civilisés les armes et les outils, tout ce qu’il faudra pour pouvoir ensuite se passer d’eux; ils s’européaniseront pour mieux rester eux-mêmes. C’est en ce sens que, autant qu’on en peut juger jusqu’ici, le mouvement actuel a des analogies avec la révolution de Meiji d’où est sorti le Japon moderne. Qui mesurera jamais l’inlluence que Port-Arthur, Moukden et Tsou-shima ont pu exercer sur l’esprit public dans le pays des vaincus de Plevna et de Chipka? Par prudence et par esprit politique, le Comité Union et Progrès s’est efforcé d’atténuer, ou tout au moins de masquer le caractère d’intransigeance nationaliste du mouvement « jeune-turc », mais des incidents révélateurs sont déjà survenus. En plusieurs endroits, notamment dans le secteur russe, des officiers étrangers ont été avisés, sans menaces, qu’ils seraient bien inspirés en ne rejoignant pas leur poste ou en le quittant. A Serès, où le colonel français Baumann a rassemblé tous ses officiers, ils ont été acclamés, mais on leur a