234 LA POLITIQUE EUROPÉENNE les plaintes d’une opinion qu’il lui appartenait de retenir et de diriger, et surtout, il a cru à la vertu intrinsèque des mots et des formules diplomatiques, tandis que seuls comptent, dans la bataille, les intérêts et les forces. De là, sur le terrain diplomatique, son échec ; il était impliqué, nous l’avons montré, dans les conditions mêmes où la lutte s’est engagée. Mais, en réalité, la Russie n’a rien perdu ; elle a cédé à des menaces parce que ni elle, ni ses alliés ou amis ne voulaient faire la guerre pour la Bosnie. C’est là le fait qui domine toute la crise, malgré les efforts qu’on a multipliés àVienne etàBerlin pour en voiler la brutale réalité ; il éclaire la Russie sur ce que dissimulent les avances de la diplomatie allemande ; séparée de ses associés, la Russie serait fatalement vouée à être, en Orient, comme elle l’a été, en 1878, la dupe de l’amitié allemande. Elle sait que, depuis Bismarck, l’Allemagne a « opté » en faveur de l’Autriche. Dans ses déboires, la Russie a recueilli un autre enseignement dont elle a déjà commencé à tenir compte : c’est que, dans les grands conflits internationaux, les arguments ne sont rien, les baïonnettes tout, même lorsqu'elles restent au fourreau. Profitant de la leçon, une lois de plus, comme après le traité de Paris, elle se recueillera, elle réorganisera son armée, elle complétera son outillage économique. La Russie, qui a l’espace, a besoin du temps. La politique de la Grande-Bretagne, durant la dernière crise, n’a pas varié dans son objet, ni dans ses principes ; elle n’a pas cessé, se prévalant du protocole de Londres de 1871, de déclarer que l’Europe seule avait qualité pour modifier, soit dans une conférence, soit par des négociations directes, ce que l’Europe avait fait. Elle ne s’est pas départie non plus d une attitude nettement pacifique ; le voyage du roi Èdouar à Berlin, le 9 février, en a été la preuve et le signe-