332 LA QUESTION ALBANAISE dans la langue nationale, la création d’écoles dans lesquelles l’instruction serait donnée en albanais, la construction de voies ferrées et de routes, la convocation annuelle, dans une ville macédonienne désignée par le sort, d’une session du Congrès ottoman albanais à'Union et de Constitution. Des multiples faits que nous venons de citer, une impression générale se dégage. Albanais et Jeunes-Turcs n’ont pas compris de la même manière la révolution à laquelle les uns et les autres ont participé; entre eux l’accord n’a vraiment existé que sur un seul article : dehors les étrangers! Sur tous les autres points l’antinomie est profonde, radicale, et, à mesure que se développent les conséquences de la révolution, elle va s’accentuant. Un peuple de pasteurs et de chasseurs, vivant dans ses montagnes, sous un régime patriarcal et féodal, sans instruction, sans littérature, sans routes, ne peut être transformé en quelques jours, par la magie des mots et la vertu d’une constitution, en une démocratie égalitaire et parlementaire. « Beaucoup ébranlent les montagnes par un seul mot », dit un proverbe tosque ; encore faut-il que ce mot retentisse dans les cœurs, qu’il soit intelligible à ceux qui l’entendent. « Constitution, obéissance à la loi » n’ont pas de sens pour la masse albanaise attachée à ses coutumes, à ses chefs, à ses prêtres, à sa conception séculaire de l’honneur et du droit. Les abstractions jacobines, le philosophisme sentimental et l’égalitarisme naïf dont se leurre l’imagination des Jeunes-Turcs, sont inadaptables à des cerveaux albanais. Les Jeunes-Turcs vivifient ces vieilles défroques du vocabulaire quatre-vingt-neuviste par un patriotisme ardent, et parfois aussi, par un sens politique très avisé et très opportuniste. Mais, en Albanie surtout, l’application intégrâle et immédiate de leur programme législatif et gouvernemental les conduirait à de très graves mécomptes. Ici, la tradi-