LA QUESTION ALBANAISE 301 rapsodies que les aèdes populaires chantent aux jours de fête, dans la montagne, autour du foyer. Scander-beg mort, les Turcs, maîtres des villes, des marchés et des plaines, obtiennent eniin la soumission de l’Albanie, mais ils ne la réduisent pas à merci ; elle accepte des suzerains, non pas des maîtres. Pour échapper au joug, un îlot d’émigrants albanais se dirige, à cette époque, vers l’Italie méridionale et la Sicile où, encore aujourd’hui, leurs descendants se reconnaissent entre eux et n’oublient pas leur origine ; plusieurs des hommes qui ont marqué dans l’histoire de l’Italie contemporaine, — tel Francesco Crispi, — sont les petits-fils de ces émigrés. Ceux qui restent, les Sultans ont la sagesse de ne pas les pousser à bout.; ils se contentent d’une soumission nominale, et pourvu que l’Albanais ne soit pas trop turbulent et fournisse des auxiliaires volontaires à leurs armées, ils ne cherchent pas à l’assimiler. Ils obtiennent pourtant de lui l’acte essentiel qui l’incorpore à la vie de l’Empire : la majorité des Albanais devient musulmane. Les grands propriétaires, les chefs de clans, ont donné l’exemple; ils sont devenus musulmans pour garder leurs fiefs. La masse a suivi. Comme la plupart des peuples montagnards, l’Albanais, étant pou cultivateur, vit de l’État ou du riche protecteur; il a, d’instinct, la conception de la clientèle. L’État, chez les Turcs, c’est l’Islam. L’Albanais adopta l’Islam pour pouvoir servir les Khalifes. Son tempérament aristocrate ne pouvait s’accommoder d’ôtre confondu avec la raïa ; musulman, il garda son fusil, symbole de sa noblesse et de sa liberté, instrument de ses vengeances de famille, gardien sacré de son honneur. « Là où est le sabre, là est la foi » ; c’est un dicton utilitaire que l’Albanais a mis en pratique et qu’excuse, cliez lui, le besoin de vivre. Un changement de religion est, pour lui, un acte de politique alimentaire et un sacrifice fait