LA RÉVOLUTION TURQUE 81 races en des conflits moins sanglants peut-être, mais aussi acharnés? On ne supprime pas d’un trait de plume des siècles d’histoire, il ne suffit pas d’une Constitution pour changer des traditions nationales faites de longues souffrances communes, de luttes glorieuses, de haines héréditaires. Les Turcs sont les vainqueurs, les conquérants ; après avoir imposé aux peuples chrétiens un joug très lourd et très humiliant, ils peuvent, eux, oublier le mal qu’ils ont fait et même travailler noblement à le réparer; mais la mémoire des vaincus est plus longue et leurs rancunes plus vivaces. Le Grec, brillant rhéteur, rompu aux intrigues, habitué aux luttes de l’Agora, sera dans son élément au Parlement de Constantinople ; le Bulgare y apportera son énergie brutale, l’Arménien son astuce, l’Arabe sa fougue disciplinée, le Turc sou naturel doux, presque timide, son goût pour l’ordre et la logique. Sur les questions d’équilibre budgétaire, l’entente sera relativement facile, mais qu’adviendra-t-il le jour où des débats brûlants feront passer dans tous les yeux la flamme des passions ataviques ? Que deviendra, dans l’ardeur des batailles parlementaires, la fiction légale qui fait de tous les députés, sans distinction de race ou de croyance, les représentants du peuple ottoman? Entrés au Parlement divisés en partis, les députés n’en sortiront-ils pas divisés en nations ? A propos des lois sur l’instruction publique, pour ne citer qu’un seul exemple, le problème des langues so posera dans toute son acuité. Les Jeunes-Turcs proclament qu’il n’y aura pas de race prépondérante, que l’égalité suffira à résoudre toutes les difficultés ; mais la langue turque, cependant, sera la langue de l’Etat, celle des écoles, tout au moins des écoles supérieures; n’y aura-t-il pas là une source de mécontentements graves, de rivalités dangereuses pour la tranquillité de l’Empire? D’après le programme « jeune-turc », dans 6