354 CINQUANTE ANS DE RÈGNE Ainsi vivent ces peuples, toujours l’œil au guet et la main au sabre, chasseurs d’hommes, à l’affût derrière leurs grands rocs. Le palladium de leur liberté, c’est le couvent d’Ivan-le-Noir, dans l’étroite plaine de Cettigne; c’est leur centre religieux, le lien national qui unit les divers clans de la montagne. Il n’est pas surprenant que le métropolite de Cettigne soit devenu le chef de la nation. Deux fois, en 1623 et en 1687, les Turcs pénètrent jusqu’à Cettigne, détruisent le saint monastère, imposent aux montagnards l’humiliant impôt du haratch, et, pour les tenir en respect, installent au centre du pays une troupe de Monténégrins renégats. L’âme monténégrine, si l’apostasie venait à s’étendre, était menacée de disparaître : elle eut, dans la veillée de Noël 1702, ses Vêpres sanglantes qui la ressuscitèrent. A la voix de Danilo, le premier vladika de la famille des Pétrovitch, les Monténégrins se lèvent, massacrent les renégats, rejettent la suzeraineté turque; plusieurs années d’effroyables luttes s’ensuivent : en 1714, les Turcs brûlent encore une fois le monastère de Cettigne. Combien d’ossements turcs blanchirent alors dans les gorges sauvages de la montagne! La liberté fut le prix de l’héroïsme : depuis cette époque, les Monténégrins vivent indépendants ; mais on les retrouve sans cesse en armes contre l’ennemi héréditaire, en 1829, en 1856, en 1876. Jusqu’à nos jours la guerre reste l’unique préoccupation du Monténégrin, sa raison d’être, sa fonction normale ; il vit pour tuer et, lui-même, tient a déshonneur de mourir dans son lit. Si dénudées que soient les Montagnes Noires, les eaux qui en dévalent entraînent avec elles de menues parcelles végétales qu’elles déposent au fond des entonnoirs naturels où elles-mêmes s’infiltrent dans le sol fissuré : ces petites cuvettes, on les aperçoit, de-ci de-là, rompant la monotonie du paysage ; elles sont caracle-