72 LA RÉVOLUTION TURQUE expliquent l’hostilité du Sultan à la politique de Midhat ; elle tient à des causes plus profondes, à une conception radicalement différente de la souveraineté dans ¡’Empire ottoman et de l’avenir de la Turquie. Si odieux que l’on juge certains procédés du gouvernement d’Abd-ul-Hamid, on ne saurait contester qu’il ait été guidé par une idée politique qui tenait à la conception même qu’il avait de son pouvoir; il ne s’est jamais regardé comme un souverain européen, mais comme le padis-chah des Ottomans et le chef religieux du monde musulman tout entier ; il s’est considéré comme le khalife, lieutenant et successeur du Prophète, détenteur d’un dépôt sacré de droits et de devoirs, hérités de ses ancêtres, nullement comparables à ceux d’un roi de l’Occident chrétien. Aussi n’a-t-il jamais cru que les méthodes européennes pussent être appliquées dans son Empire. S’il a cherché parfois un appui parmi les nations étrangères, c’est que la nécessité l’y obligeait, mais il est resté un souverain nationaliste, ottoman et musulman avant tout. Sa politique personnelle a été panislamique ; ses trames occultes se sont étendues jusqu’au Maroc et jusqu’en Chine ; à l’intérieur de ses États, il a poursuivi une œuvre de centralisation religieuse, administrative et militaire par le moyen des chemins de fer, appelant à lui, par la ligne de Bagdad et par celle du Hedjaz, les forces de l’Asie pour les opposer aux périls toujours renaissants sur les frontières européennes. Ce qu'Abd-ul-Hamid n’a pu pardonner à Midhat et aux libéraux, ce sont les circonstances mêmes de son propre avènement, cette convention de Muslou-Oglou, acceptée par son ambition, mais d’autant plus odieuse à son orgueil de souverain. Dans la personne de son ancien grand-vizir il poursuivit, avec une haine tenace, l’homme qui avait le plus contribué à déposer deux sultans et qui avait dicté des conditions à un troisième.