LA QUESTION ALBANAISE 333 tion vivante est aux prises avec l’esprit de système. Pour lutter contre des coutumes si anciennes qu’elles sont pour ainsi dire incorporées à la race, la raison toute seule, si infaillible qu’on la suppose, ne suffit pas, il y faut le temps. Le vrai progrès ne s’impose pas avec de la force, il s’insinue avec des bienfaits. Un Jeune-Turc nous disait un jour : « En Albanie, nous abattrons la féodalité des beys, et toute la masse du peuple sera pour nous. » Illusion encore ! Les montagnards vivent en bonne intelligence avec leurs beys; beaucoup sont propriétaires ; tous ont des droits de pacage ; ils n’aspirent pas à un régime social différent ; mais ils sont invinciblement attachés à leurs coutumes traditionnelles. Le régime nouveau se présente à eux sous la forme du service militaire et de l’impôt : ils le repoussent. Si les Jeunes-Turcs heurtent de front les passions particularistes des Albanais et prétendent leur imposer immédiatement le progrès d’après leurs formules, ils se trouveront bientôt acculés à une guerre de montagne où ils useront leurs forces pour un succc3 douteux. Seule une tactique patiente peut conduire à de bons résultats. La première œuvre à entreprendre est la construction des routes et des chemins de fer à travers l’Albanie ; il faut créer des débouchés nouveaux, mettre des outils aux bras qui portent le fusil. L’Albanais est pauvre; repas albanais, en Macédoine, signifie diète : il faut l’enrichir en le faisant travailler. L’Albanais émigre ou bat l’estrade : il faut le retenir en l’aidant à mettre en valeur ses forêts, ses pâturages et à vendre les produits de son industrie. L’Albanais est •gnorant : il faut lui donner des écoles, lui permettre d’y enseigner et d’y apprendre sa langue, pourvu qu’en même temps il y apprenne la langue de l’Empire. Avant de rien exiger de l’Albanie, il faut lui donner beaucoup. Si cela paraît indispensable, on pourra protéger les routes, dominer les massifs les plus sauvages