LA RIVALITÉ DE L’ALLEMAGNE ET DE L’ANGLETERRE 39 rants sociaux emportent les peuples et, incessamment, renouvellent les sociétés; peut-être saisirions-nous le secret du prodigieux enfantement dont notre siècle est en mal; peut-être comprendrions-nous vers quel avenir et par quels chemins nous conduisent ces deux grandes forces aveugles, mystérieuses, qui mènent le monde moderne : les peuples et les idées. Louis XIV pouvait dire : « Demain » ; aucun de nos gouvernements modernes ne le peut; ceux qui paraissent les plus solides sont parfois le plus vite balayés; les longs espoirs et les vastes pensées sont interdits, aujourd’hui, même aux monarques. Démocratie, socialisme, nationalisme, représentent, sous des formes et sous des noms divers, la poussée des foules qui inquiète les minorités gouvernantes et possédantes. Les forces souveraines de notre temps sont les démocraties et l’argent. Or les affaires ont besoin de la paix; et quant aux démocraties, elles sont pacifiques, parce que ce sont elles-mêmes qui se battent, jusqu’au moment où elles aperçoivent clairement, unanimement, que leurs grands intérêts vitaux sont menacés, ou jusqu’à ce que leurs passions profondes entrent en action ; alors elles s’élancent à la guerre, et de telles guerres sont les plus terribles de toutes. Les luttes économiques actuelles n’ont pas encore atteint ce degré d’intensité, de nécessité, qui en fait sortir la guerre. En Angleterre, la fraction la plus ardente de l’opinion ne se cache pas de souhaiter une guerre avec l’Allemagne : détruire la Hotte, saisir les colonies, ruiner la concurrence allemande, imposer une limitation des armements sur mer, voilà les bénéfices qu’elle en attend. Mais l’Angleterre est précisément la moins démocratique des nations européennes; elle est menée par des aristocraties; aristocratie de race, aristocratie d’argent, aristocratie ouvrière des trade-unions; elle est la seule en Europe qui n’ait pas une organisation