200 LA POLITIQUE EUROPÉENNE protestait, au nom du droit des peuples et des nationalités, contre la violence faite aux frères serbes de Bosnie et d’Herzégovine et, exposant le préjudice matériel et moral fait à la nation serbe par la ruine de ses espérances et la fermeture de ses débouchés ; il demandait à la justice de l’Europe, ou de s’opposer à l’annexion, ou d’obtenir, pour la Serbie, des compensations. Les revendications serbo-monténégrines soulevaient des questions d’une nature extra-juridique ; elles portaient le débat sur le terrain des nationalités ; ni la Serbie, ni le Monténégro n’étaient parties contractantes au traité de Berlin dont ils avaient subi les clauses sans être admis à les discuter. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, — si sacré qu’on puisse d’ailleurs le considérer, — n’est écrit nulle part dans le droit public; il n’est pas matière à discussion dans les Congrès et, jusqu’ici, les gouvernements ne l’ont invoqué qu’en de rares circonstances, lorsqu’ils étaient certains de pouvoir appuyer sur la force l’incertitude de leurs arguments de droit. Toute la complexité, toute la dangereuse acuité de la crise est faite du mélange, de la confusion de ces deux catégories de question, la question européenne d une part, la question austro-serbe de l’autre. La question bosniaque n’était pas grave en elle-même; elle l’est devenue parce qu’elle a été l’occasion d’une crise européenne : c’est l’ailaire de Bosnie qui a donné à celte crise sa forme extérieure, son cadre; elle est devenue le champ de bataille où se sont mesurés les deux groupes rivaux de puissances qui se partagent l’Europe. Les événements locaux sont, pour ainsi dire, l’aliment qui entretient le conflit général, et c’est de là que des incidents imprévus peuvent surgir ; l’Europe, pendant six mois, est à la merci d’un coup de tête serbe ou monténégrin ; toute la sagesse pacifique des diplomates est impuissante à prévenir les conséquences d’un combat d avant-postes, du coup de main d’une bande.