LA RIVALITÉ DE L’ALLEMAGNE ET DE L’ANGLETERRE 15 économique. Celte conception utilitaire se colore pourtant d’une nuance d’idéalisme : 1 Anglais est persuadé que sa domination est bienfaisante et libérale, que c’est un bonheur pour les peuples de vivre sous son ombre et qu’un décret providentiel lui a assigné la mission de gouverner et de civiliser le monde. C’est le tu regere imperio populos du poète latin, c’est la doctrine enseignée par Seeley. L'Empire est, pour ¡’Anglais, possession d’État, traditionnellement assurée à sa race ; Disraeli n’a fait que le constater quand, avec son imagination grandiose de sémite, il a décoré la reine Victoria du titre d’impératrice des Indes. Quiconque dispute la clientèle au commerçant britannique lui apparaît comme un envieux de la prospérité d’autrui, un rebelle à l’ordre naturel des choses. « Nous avions naguère une sorte de monopole : nous avons maintenant à combattre pour l’existence », disait un jour lord Rosebery aux étudiants de Glasgow1 ; la phrase est lumineuse dans sa concision ; elle exprime à la fois les désillusions d’un heureux propriétaire inquiété dans sa jouissance, et les obligations nouvelles de la politique anglaise. Nous avons vu comment la conception allemande est plus complexe, moins mercantile et, en quelque sorte, plus métaphysique ; elle a moins le caractère d’urgente et inéluctable nécessité. « Notre avenir est sur l’eau », c’est-à-dire l’hégémonie que nos pères ont conquise sur la terre, nous devons, complétant leur œuvre, la chercher sur l'eau, dans les pays lointains, partout où nos flottes pourront porter la bannière de l’Empire et le renom de la force allemande. Au premier abord, la rivalité anglo-allemande semble n’être qu’une querelle de marchands, mais si l’on y regarde de plus près, elle se dramatise et s’amplifie ; 1. Cité par M. Izoulet dans son introduction à la traduction française du livre du capitaine Mahan : Le salut de la race blanche et l’empire des mers (Flammarion, in 8»), page lxvii.