50 LA RÉVOLUTION TURQUE bien, depuis quelques mois, que des événements graves étaient dans l’air ; l’atmosphère était lourde d’orage ; mais tandis qu’on s’inquiétait des nouveaux projets de Téforme péniblement élaborés, pour la Macédoine, par la Russie et l’Angleterre, ou qu’on s’alarmait des dispositions belliqueuses de la Bulgarie, voici que des Turcs eux-mêmes vient tout à coup l’impulsion décisive qui, en quelques jours, en quelques heures, change en Orient la face des choses. Personne, à vrai dire, en Europe, et peut-être même, à de rares exceptions près, •en Orient, ne connaissait l’étendue, la profondeur, ni surtout l’universalité du mouvement «jeune turc » ; on disait bien, depuis quelques semaines, que les Comités -étaient prêts, que des incidents étaient à prévoir, mais qui aurait osé croire à un succès si prompt et si aisé ? On jugeait le régime hamidien plus solide, mieux préparé à la résistance et beaucoup, même parmi les Turcs libéraux, ajournaient leurs espérances à la mort du Sultan. Ce régime de compression, de dénonciations, faisait d’autant plus facilement illusion qu’il était environné de silence, qu’il paraissait avoir anéanti tout ce qui aurait été capable de lui faire obstacle et qu’il passait pour avoir trouvé au dehors des appuis assez solides pour être en droit de se croire assuré de la tranquillité du dedans. Toute cette force apparente s’est évanouie devant la force réelle qui a surgi d’où on ne l’attendait pas, du fond même de la vieille race turque. On la supposait passive et résignée et, tout à coup, elle a révélé sa vitalité, affirmé sa volonté de rester maîtresse de ses destinées et de marcher par ses propres moyens dans les voies du progrès. On savait bien que l’armée était brave, les paysans honnêtes et laborieux, mais on se demandait si la corruption d’en haut n’avait pas gangrené tout le corps social et si les comités « jeunes-turcs » pourraient être jamais autre chose qu’une élite éclairée, mais utopique et pratiquement impuissante.