334 LA QUESTION ALBANAISE par de petits fortins. On disait, dans l’été 1910, àScutari, qu’une commission allait s’occuper de mettre en valeur les belles forêts albanaises pour procurer du travail aux montagnards et qu’elle commencerait par revendiquer pour l’État tout ce que les villages ne pourraient pas prouver, par des titres, leur appartenir. Yoilà un exemple topique d’une excellente intention aboutissant à une mesure détestable, car les villages n’ont pas de titres ; leurs droits sont traditionnels, séculaires : y toucher brutalement serait soulever des colères et créer des misères. L’Albanie bien gouvernée peut devenir, pour la Turquie d’Europe, une précieuse réserve d’hommes, de richesses et d’énergie ; mal gouvernée, elle est peut--être l’obstacle sur lequel viendra se heurter et se briser l’œuvre des Jeunes-Turcs. L’Albanie est, dans la Turquie d’Europe, le centre de la résistance à la poussée slave. On a pu dire, avec quelque exagération d’ailleurs, que le Turc n’est que campé en Europe; mais l’Albanais, lui, est autochtone. L’esprit nationaliste s’est beaucoup développé, nous l’avons vu, en ces dernières années; il n’est pas encore devenu un esprit séparatiste ; la majorité musulmane est fidèle au Sultan1. Mais déjà, 1. Toutefois il existe un parti assez important qui, sans être partisan de la sécession, demande une large autonomie. Voici le programme publié par Faïk-bey Conitza dans le Dielli, journal publié à Boston par des émigrés albanais et très répandu en Turquie d'Europe : « Le but que nous poursuivons est l'autonomie économique, cultu-ralc et administrative de la province d’Albanie, mais avec le maintien complet et effectif de l’union militaire et politique avec la Turquie. Nous croyons qu’une telle autonomie, justifiée par la situation géographique de notre petit pays, destiné en cas de guerre balkanique avoir toute communication coupée avec la Turquie et appelé du jour au lendemain à défendre seul son existence, est conforme aux intérêts bien entendus de la Turquie. Le régime précédent l’avait compris puisqu’il favorisait sous main le particularisme et l’esprit d’indépendance de notre peuple; les armes que Djavid-pacha a tenté d'arracher des mains de nos montagnards ne sont que des dons d'Abd-ul-lIamid. Nous poursuivons la réalisation de notre programme par les voies pacifiques et constitutionnelles. Nous faisons aux Turcs l’honneur de