l’annexion de la bosnie-herzégovine 169 jusqu’à ce que les nations, émues de notre sacrifice, ou fatiguées d’une lutte sans fin, se décident à entendre le cri de notre détresse. La nation serbe sort à peine de cinq siècles de servitude; elle a tant souffert que son âme en a gardé une mélancolie profonde dont on retrouve l’accent dans ces chants plaintifs que le paysan serbe accompagne sur sa guzla. Si, à peine échappée au joug turc, il lui faut subir l’oppression autrichienne, son courage ne survivra pas à tant d’épreuves; elle ira s’émiettant, se dissolvant; elle perdra peu à peu son individualité nationale; elle sera mangée parle germanisme triomphant. — Vous n’avez rien perdu de votre chair, nous crient certaines voix, vous avez perdu vos espérances qui n’étaient que des illusions. — illusions peut-être, mais de ces illusions vivait notre idéal national, l’âme de notre peuple; direz-vous donc que nous n’avons rien perdu, si nous avons perdu notre âme? III L’émotion jaillit ici, d’elle-même, de la contradiction llagrante des deux points de vue. Le conilit n’est pas seulement dans les faits et dans les intérêts, il se prolonge dans l’intimité dos consciences, consciences d’hommes d’État responsables, consciences d’écrivains. La marche en avant des Autrichiens et la protestation des Serbes procèdent, à leur insu peut-être, de deux conceptions opposées des droits des peuples et des droits des gouvernements, de deux philosophies antagonistes : c’est leur choc qui prête aux événements actuels leur sens dramatique et leur caractère menaçant. Comme les dieux du vieil Homère, les idées diffuses dans l’âme des peuples prennent corps et descendent