344 LA QUESTION ALBANAISE l’Albanie. Les montagnards, mal armés, affaiblis par leurs dissensions intestines, ne réussirent pas à arrêter les Turcs qui, méthodiquement, occupèrent tout le pays, sauf les cantons du Nord et du Nord-Ouest. Les chefs, pour échapper aux exécutions sommaires, s’enfuirent au Monténégro et demandèrent asile à l’ennemi héréditaire ; des milliers d’Albanais les y suivirent ; un bataillon, formé spécialement par le vali de Scutari pour la garde de la frontière, passa, avec armes et bagages, au Monténégro. L’hiver 1910-1911 vint interrompre les opérations des Turcs sans amener la paix dans les montagnes albanaises. En mars, la campagne reprit. L’insurrection s était généralisée dans les cantons du Nord. Les tribus Malissores qui bordent la frontière monténégrine et qui se réfugient dans leurs redoutables forteresses de montagnes étaient en armes1. Une partie des Mirdites les suivirent. Si l’ensemble de la confédération mirdite s’était levé contre les Turcs, les événements auraient pris une gravité exceptionnelle. Les tribus sollicitaient Prink Pacha de se mettre à leur tête; même certaines tribus musulmanes lui envoyaient des émissaires pour lui offrir le haut commandement de toute l’Albanie du Nord. Le prince est resté fidèle à la Turquie. Son caractère doux et libéral répugne aux moyens violents ; son long exil à Castamouni et à Constan-tinople a tempéré ses énergies natives et, en même temps, a ouvert son intelligence aux véritables intérêts de son pays. Il estime que l’Albanie n’est pas mûre pour l’indépendance, qu’en dehors d’une élite de lettres, elle n’a encore d’elle-même qu’une conscience vague, plutôt ethnique que nationale. Dans l’état actuel de morcellement, de sauvagerie et d’indiscipline où se trouve la plus grande partie du pays, l’effondrement du régime jeune-turc et la dislocation de la Turquie auraient poui 1. Les Malissores sont des tribus catholiques; elles comptent envi ron 27.000 âmes.