2 INTRODUCTION « Nous sommes, vis-à-vis de l’Angleterre, dans l’heureuse situation de n’avoir entre nous aucun conflit d’intérêts, si ce n’est des rivalités commerciales et de ces différends passagers qui arrivent partout : mais il n’y a rien qui puisse amener une guerre entre deux nations laborieuses, pacifiques. ». C’est Bismarck qui parlait ainsi, dans son fameux discours du 19 février 1878 1 ; et ses paroles n’étaient point un artifice diplomatique. Presque mot pour mot, aujourd’hui, les affirmations du chancelier pourraient être retournées ; l’Allemagne et l’Angleterre se dressent l’une en face de l’aulre en un conflit général d’intérêts ; leurs « rivalités commerciales » sont devenues si âpres, elles se sont tellement multipliées quelles ont abouti à un « différend » permanent ; et c’est précisément parce que les deux nations sont « laborieuses » que l’on a pu croire, à certaines heures, qu’elles allaient cesser d’être « pacifiques ». La rivalité anglo-allemande domine toute l’histoire politique de l’Europe en ces dernières années ; elle détermine, dans une large mesure, les attitudes et les actes de toutes les puissances. L’observateur qui s’élèverait au-dessus des temps, comme l’aéronaute s’élève au dessus des terres, et ne distinguerait plus que les grandes lignes de la politique que nous avons vécue depuis dix ans, apercevrait d’abord ce colossal antagonisme d’intérêts et d’ambitions. La rivalité actuelle n’a ni résolu, ni supprimé les causes plus anciennes ou plus particulières de désaccord, mais elle se mêle à tout pour tout aggraver, pour tout fausser. L’attente delà grande lutte pèse sur le monde comme une inquiétude, trouble la vie comme un cauchemar ; les peuples, muets comme des oiseaux qui sentent venir l’orage, cherchent l’asile qui les abritera pour laisser passer la tourmente. 1. Cité dans d’Avril : Négociations relatives au traité de Berlin, p. 325.