LA MER-NOIRE ET LA QUESTION DES DÉTROITS 63 les mains nettes. C’est sa position « si avantageuse » sur le Bosphore et sur les Dardanelles qui a attiré sur l’Empire ottoman une bonne partie des disgrâces dont la série résume pour lui l’histoire de la « question d’Orient »; en sorte que l’on ne saurait décider lequel est le plus à plaindre, du Russe enfermé dans sa Mer-Noire, ou du Turc chargé de l’empêcher d’en sortir. Plus que jamais aujourd’hui l’empire du monde est promis au maître de la mer. Une puissante armée est, pour les Etats qui ont des frontières de terre, une garantie indispensable d’indépendance ; elle peut leur procurer la conquête d’une province et même l’hégémonie continentale; mais l’Europe n’est plus qu’un coin du monde, une péninsule de l’Asie ; la domination de la mer, The Sea power, — pour employer le titre même du célèbre ouvrage du capitaine Malian1, — est seule capable d’assurer 1’ « Empire ». « L’Empire, c’est le commerce! » s’écrie M. Joseph Chamberlain; et l’empereur Guillaume II : « Notre avenir est sur l’eau ! » Les deux formules sont équivalentes ; elles signifient que c’est seulement sur le commerce international, le grand commerce qui se fait à travers les mers et qui a besoin, pour vivre et se développer, de s’appuyer sur une imposante force navale, que, de nos jours, peut être fondée une puissance « mondiale ». La liberté des mers, l’ouverture des détroits et des canaux maritimes, la possession des points de passage, importent donc plus que jamais aux intérêts vitaux des grandes nations : ainsi la nouvelle politique impérialiste se rencontre avec la vieille politique des rivalités nationales pour mettre 1. Le sahit de la race blanche et l'Empire des mers. Ti'ad. Izou-let. Paris, Flammarion, 1 vol. in-8».