154 LA QUESTION DE MACÉDOINE du bey ottoman ; il lui paraît légitime et normal que le chrétien vive dans une condition sociale inférieure, qu’il ne puisse ni s’enrichir ni s’élever. Là où le chrétien prospère, comme dans l’ancienne Roumélie orientale, le Turc ne peut pas rester, il émigre. Le paysan propriétaire lui-même n’est pas à l’abri de pareils maux : si sa terre tente le seigneur de quelque tchiflik voisin, ou simplement si elle fait envie à quelque aventurier albanais, il le trouve un beau jour installé chez lui, le fusil à la main, et comme dans le conte du Chat Botté, il est contraint, sous menace de mort, de se reconnaître fermier et vassal. Le domaine franc devient un tchiflik, le paysan libre un colon, heureux s’il garde la vie sauve et s’il est assez bien inspiré pour ne pas se plaindre aux tribunaux : il y laisserait sa dernière piastre. La justice, l’administration, la force publique sont à la disposition des beys. Ce demi-esclavage est le sort d’un quart au moins des paysans bulgares macédoniens ; d’autres, plus misérables encore, sont de simples ouvriers agricoles, domestiques de ferme, bergers, bouviers, réduits à la condition précaire de salariés. Les chrétiens, quand ils sont propriétaires, ne possèdent que de petits domaines ; le poids des impôts, l’insécurité du pays, le mauvais état des routes découragent leurs efforts et empêchent tout progrès de la culture. Souvent, surtout à l’Ouest du Yardar, les villages, outre les impôts, sont obligés de payer une redevance spéciale aux Albanais du voisinage : c’est une manière de régulariser le pillage, c’est une assurance par abonnement contre le brigandage, payée aux brigands eux-mêmes. La triste condition des paysans macédoniens a, depuis plusieurs années déjà, attiré l’attention des agents européens. « On connaît, écrivait, le 28 oc-