82 LA MER-NOIRE ET LA QUESTION DES DÉTROITS Le 31 octobre 1870, le prince Gortchakof porte, par une simple dépêche circulaire, à la connaissance des cabinets européens « que Sa Majesté Impériale ne saurait se considérer plus longtemps comme liée aux obligations du traité de Paris du 18/30 mars 1858, en tant qu’elles restreignent nos droits de souveraineté dans la Mer-Noire1. » Il n’y a pas de droit contre le droit ; c’était le droit de la Russie de s’affranchir de stipulations si évidemment injustes et vexatoires. La Conférence de Londres ne fait, sur ce point, que sanctionner le fait accompli; elle ne touche pas d’ailleurs au régime des Détroits ; mais en confirmant une fois de plus la Convention de 1841, elle accorde, par son article 2, au Sultan « la faculté d’ouvrir les Détroits, en temps de paix, aux navires des puissances amies et alliées, dans le cas où la Sublime Porte le jugerait nécessaire afin d’assurer les stipulations du traité de Paris de 18S6 2. » Quelle était la portée exacte de cet article? appor- ristique. Gortchakof, se trouvant à Vienne, après une conversation avec le comte de Buol, sortit du cabinet du ministre, suffoquant de colère, arpentant la salle d’attente, se parlant à lui-même et répétant, en français : « Ah! ils me le paieront bien un jour, ils me le paieront!... » Il s’agissait du traité de Paris. L’Autriche le paya à Solférino et à Sadowa, Napoléon III à Sedan. L’Angleterre doit à sa position insulaire le privilège de ne jamais payer ses fautes. (Julian lClaczko, Deux Chanceliers : le prince Gortchakof et le prince de Bismarck, 3’ édition. Paris, 1877. — Mischef, op. cit. p. 591.) Le comte de Beust en 1867 songea à rendre aux Russes la liberté, de la Mer-Noire- (Voyez ci-dessus, p. 18, note.) Mais il se heurta au refus de la diplomatie française ; le marquis de Moustier, par un point d’honneur mal placé, ne voulut pas renoncer au résultat de la guerre de Crimée. Sur ce point, voyez d’Avril, op. cit., p. 74, et Mémoires du comte de Beust, II, p. 59. 1. Cf. Sorel, Histoire diplomatique de la guerre 1ranco-allemande, Paris, 1875, 2 vol. — Julian Klaczko, Deux Chanceliers — Pensées et Souvenirs de Bismarck, II, p. 274, etc.) 2. Mischef, op. cit. p. 593.