DANS L’EMPIRE OTTOMAN 335 une ligne allemande, puisqu’elle serait tout entière en territoire ottoman. Si la Turquie survit longtemps encore comme Etat indépendant, les chemins de fer qui vont bientôt la sillonner, et dont le Sultan hâte l’achèvement, deviendront pour elle un moyen de centralisation et de mobilisation rapide qui accroîtra singulièrement sa cohésion et sa force : elle n’en sera que plus libre de reprendre sa politique favorite d’équilibre et de contrepoids entre les influences étrangères. On peut croire que l’Allemagne, si elle parvenait à achever une entreprise aussi importante que « le Bagdad », et à en faire « un chemin de fer allemand », inspirerait assez d’inquiétudes aux successeurs d’Abd-ul-Hamid pour qu’ils s’appliquent, de toute leur énergie, à affranchir leur Empire d’une protection trop lourde. Si, au contraire, la Turquie venait à se dissoudre, si le partage, tant de fois prédit, s’accomplissait, peut-on imaginer que l’Allemagne s’approprierait, sans opposition, tout le pays parcouru par son chemin de fer, et qu’elle régnerait du Bosphore au golfe Persique? Elle ne le pourrait qu’à la suite d’un formidable cataclysme, d’une guerre générale et de la ruine de tout l’ancien équilibre européen. Si donc le « Bagdad » doit devenir un instrument de domination, il se pourrait que ce fût au profit des Turcs et de l’Islam. Quant à l’Allemagne, si elle réussit à mener à bien sa gigantesque entreprise, elle en tirera sans doute un bénéfice politique, mais elle y trouvera, d’abord et surtout, une voie d’expansion économique, un débouché par où ses produits se répandront sur l’Asie centrale. La ligne de Bagdad n’est pas, pour elle, un outil de conquête, c’est une soupape de sûreté par où elle espère écouler le trop-plein de sa production industrielle.