LA MER-NOIRE ET LA QUESTION DES DÉTROITS 65 tifier le Bosphore? Et ce vaisseau maudit, n’était-ce pas celui qui, par un hasard humiliant, portait le nom de ce Potemkine, prince de Tauride, qui jadis, amant choyé et courtisan favori, pensa ne pouvoir mieux reconnaître les faveurs de Catherine la Grande qu’en mettant un jour à ses pieds cette Crimée, par où son empire toucherait à la Mer-Noire, et en organisant ce fantasmagorique voyage où l’impératrice triomphante put se croire, en traversant des villages de carton, sur le « chemin de Byzance » ? On sait comment cette aventure sans précédent, ce périple invraisemblabl» d’un cuirassé sans officiers poursuivi par un torpilleur sans matelots, se termina, après des péripéties tragiques, par une humble reddition aux autorités roumaines. Le vaisseau rebelle n’avait, en fin de compte, ni franchi les Détroits, ni menacé sérieusement Constantinople ; mais le seul fait de ses libres évolutions à travers ce bassin fermé de la Mer-Noire avait suffi pour alarmer la Porte et troubler la quiétude des gouvernements. Les puissances secondaires, Roumanie et Bulgarie, en prenaient prétexte pour armer leurs ports, Cons-tantza et Bourgas, et pour organiser une flottille : puisque la Russie n’était plus certaine de maintenir l’ordre dans la Mer-Noire, ne convenait-il pas que les petits Etats pussent faire eux-mêmes la police et se prémunir, si improbable fût-elle, contre la menace d’un nouveau Potemkine? Dans un article de la Revista Judiciaria qui a fait beaucoup de bruit à l’époque de i’incident du Potemkine, un ancien ministre roumain des Travaux publics, M. E.-M. Pa-rumbaro, a examiné les différentes éventualités auxquelles pouvait donner lieu l’apparition du vaisseau révolté dans la Mer-Noire et dans les Détroits, et en a pris texte pour étudier et critiquer le régime juridique 5