90 LA MER-NOIRE ET LA QUESTION DES DÉTROITS Russie avait dû, pour demander et obtenir l’autorisation de passage, adopter précisément le point de vue que le comte Schouvalof avait combattu à Berlin et qu’y avait défendu lord Salisbury, et considérer le Sultan comme entièrement libre d’accorder ou de refuser, de son propre chef, le passage, sans que les puissances signataires des Conventions de 1841 et de 1871 fussent en rien fondées à intervenir. L’Angleterre, semblait-il, en raison même des déclarations de lord Salisbury, n’était pas qualifiée pour protester au nom des traités violés : elle fut seule cependant à élever la voix : plus de trois mois après la signature de l’iradé accordant le passage aux quatre torpilleurs, le 6 janvier 1903, sir Nicolas O’Conor remit au gouvernement turc une note par laquelle il déclarait que son gouvernement prenait acte du passage des navires de guerre russes dans les Détroits, et qu’il n’hésiterait pas, le cas échéant, à s’en prévaloir comme d’un précédent et à user, pour ses vaisseaux, du même privilège. Ainsi, par un étrange chassé-croisé, la Russie et l’Angleterre abandonnaient simultanément l’interprétation que leurs plénipotentiaires avaient respectivement défendue au Congrès de Berlin : la Russie reconnaissait au Sultan le droit d’accorder le passage sans avoir à en rendre compte à qui que ce soit ; l’Angleterre le lui déniait. La presse anglaise, docile aux inspirations du Foreign-Offîce, appuyait sa démarche officielle en menant une campagne de récriminations contre la Russie et de menaces vis-à-vis du Sultan et s’effor-çait de rajeunir la vieille question des Détroits en y associant des passions politiques plus actuelles. Tout ce bruit ne trouva aucun écho dans les chancelleries européennes ; aucune puissance ne donna son adhésion à la note britannique j la presse allemande prit