LA MER-NOIRE ET LA QUESTION DES DÉTROITS 89 les défiances du gouvernement ottoman, ni à vaincre ses répugnances secrètement encouragées par certaines ambassades ; ces torpilleurs de commerce, malgré leur extérieur bénin, ne disaient rien qui vaille à Abdul-Hamid ; mais aucun des cabinets européens, pressentis, ne se montrait disposé à soutenir ouvertement la résistance de la Porte : de Berlin serait même venu, dit-on, le conseil de céder. D’ailleurs, le chargé d’affaires de Russie, en insistant pour obtenir satisfaction, prodiguait les déclarations les plus rassurantes; le passage des quatre torpilleurs « ne devait créer aucun précédent et le gouvernement russe considérerait l’exception qui serait faite, dans le cas présent, comme une faveur personnelle de S. M. Impériale à l’égard du Tsar, qui désire vivement passer en revue ces quatre torpilleurs à sa prochaine visite à Livadia ». S’obstiner dans un refus eût été un procédé désobligeant envers Nicolas II; le Sultan accorda l’iradé, les torpilleurs franchirent les Détroits et pénétrèrent dans la Mer-Noire i. Un renforcement aussi peu considérable de l’escadre de la Mer-Noire ne pouvait avoir, bien entendu, aucune importance par lui-même, mais les circonstances et la forme dans lesquelles l’autorisation avait été demandée et obtenue pouvaient entraîner, au point de vue du régime des Détroits, les plus graves conséquences. L’article 2 du traité de Londres, interprété selon les principes définis au Congrès de Berlin par le comte Schouvalof, n’autorise le Sultan à ouvrir les Détroits qu’au cas où l’Empire ottoman serait menacé dans son indépendance ; manifestement, ce n’était point ici le cas, et l’ambassade de 1. Sur cette question, voyez un article de M. Rey dans la Revue générale de droit international public, X, p. 326. Cf. Bulletin du Comité de F Asie française, 1903, p. 21.